A la suite du succès commercial et critique de son ésotérique « Suspiria », impérial mélange des codes du giallo et du fantastique, Dario Argento bénéficie de la confiance des producteurs et se voit confier un budget plus conséquent pour mettre en scène son idée des Trois mères, trois anciennes sorcières, aux pouvoirs différents et vivant dans trois villes distinctes. Cette trilogie à pour but d’imprimer sur pellicule l’obsession pour la sorcellerie qu’à le réalisateur italien. « Suspiria » s’axait principalement sur la nécromancie, « Inferno » quant à lui s’attaque brillamment à l’alchimie. Le monde des arts et des sciences occultes deviendra bien des années plus tard un triptyque avec le dispensable « Mother of tears ».
Point névralgique de la mythologie des trois mères, le second opus est considéré par Dario Argento comme sont plus pur. Dépeint par un cadre graphique sensiblement proche de celui de « Suspiria », avec ses pastels aux tonalités bigarrées et criardes, « Inferno » a pour vocation de faire tomber le spectateur dans une léthargie profonde. La trame scénaristique y est volontairement nébuleuse, voir inexistante, nous rendant témoins de la quête et des tourments des divers protagonistes soumis au dogmatisme d’une réalité abandonnée à un onirisme absolu. Toutes les réactions sont alors en emphase avec un environnement lui-même subjugué par sa propre imagerie baroque.
Cette prise de position permet d’accentuer l’enveloppe oppressante et surréaliste du métrage, le maestro italien se libère alors de certaines contraintes du giallo, genre qui fit son succès notamment avec « Les frissons de l’angoisse » qui en est une des plus belles expressions. La ou « Suspiria » naviguait frénétiquement entre le thriller et le surnaturel, derrière ses faux semblants, « Inferno », bien que se construisant autour de scènes de meurtre, est l’œuvre épurée des visions et des obsessions d’un adepte des psychotropes bourré de talent. Derrière le sadisme et la perversion, on assiste à un renoncement presque apostasique de la part d’un réalisateur libéré. Le long-métrage n’en oublie pour autant pas ses modèles et ses références. En témoigne la première scène dans l’eau qui renvoie directement au « Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll et la tanière du lapin.
Amoureux de la littérature mais également d’art, Argento consacre à son film l’attention d’un artiste expressionniste. Le rouge du sang y est éclatant et donne l’impression de traverser une galerie de tableau tandis que la cajolerie maladive qui s’éprend des décors permet d’ennoblir l’ensemble. En effet, l’architecture constitue l’ossature du métrage. Complexe et consciente, elle fait figure de protagoniste principal au sein de l’histoire offrant une puissance mystique supplémentaire à travers la maison de Mater Tenebrarum dont la chaleur lumineuse vient frapper continuellement la rétine du spectateur à chaque fois qu’elle peut s’offrir au cadre de la caméra. Un procédé qui dessine un contraste saisissant avec la ville de New York dont le paysage urbain baigne dans le réalisme, comme en témoigne la scène des chats à central park ou le surréalisme ne se dessine que par l’éclipse lunaire qui l’envahit.
Au niveau sonore, Keith Emerson contribue grandement à immergé le spectateur dans un monde inconnu ou les réalités ne tiennent plus. Moins expérimental et psychédélique qu’avec ses compères Lake et Palmer, la qualité de sa composition offre une symbiose parfaite avec le souci esthétique de Dario Argento et la photographie de Romano Albani. Le compositeur Giuseppe Verdi permet lui, d’accentuer la grandiloquence du monde occulte et des pouvoirs institutionnels.
En résulte un des meilleurs films du cinéaste, trouvant le juste milieu dans l’enchevêtrement de ses multiples sources d’inspirations, et prenant le rôle d’initiation finale au cinéma d’un des plus grands maitres de l’épouvante. En véritable chef d’orchestre, il réalise coup sur coup ses trois plus grandes partitions avec « Les frissons de l’angoisse », « Suspiria » et « Inferno ».