Ah Hong Sang-soo, il réussit l'exploit de donner l'impression qu'il refait le même film à chaque fois tout en arrivant à surprendre.
Ben oui, c'est constamment une suite de longues séquences où des gens se contentent d'échanger, parfois en picolant pas mal (attention, le pourcentage de risque d'attraper une cirrhose pour un personnage de l'univers de ce cinéaste est très élevé !).
Toutefois, il surprend. Et cela se retrouve dans la manière dont sont agencées les différentes scènes. D'abord, quand il y a un déplacement temporel significatif ou un géographique, il ne le signifie jamais par une des façons narratives habituelles de le faire (un fondu au noir pour le premier par exemple, pour le second une transition montrant untel en train de se déplacer d'un point A à un point B ou la vision d'un monument célèbre de tel lieu pour marquer un changement de pays ou le nom de la ville affiché directement à l'écran !). L'ellipse ne va pas visuellement au-delà d'une inévitable légère coupure de montage (ici avec un numéro comme pour un chapitrage !) et le fait que l'on soit dans un autre endroit, souvent avec d'autres personnages.
Pourtant, les temps entre les ellipses sont importants non seulement par leur durée, mais aussi par la particularité qu'à travers leur présence, ils rendent absents des moments essentiels (À l'instar du début où on voit le personnage principal masculin patientant dans la salle d'attente ou fumant une clope devant la porte d'entrée du cabinet en attendant que son père médecin finisse de s'occuper d'un patient pour aller lui taper du pognon pour ses études. Cependant, l'entretien qui suit n'est pas montré !) Et on va de la Corée du Sud à Berlin (ce qui n'est pas la porte à côté !), sans que rien à première vue ne le laisse deviner.
C'est perturbant, mais à la fois stimulant. C'est stimulant, car si on n'a pas trop le temps, bien sûr, de réfléchir durant la vision de l'œuvre à ce qui s'est passé auparavant et à ce qui est en train de se passer à l'instant même, on le fait après (en s'aidant d'Internet ; oui, j'ai un peu honte !). C'est un moyen pas très banal de raconter une histoire ou plusieurs s'entrecroisant plus ou moins. Résultat, c'est marquant. L'air de rien, sous sa fausse apparence de simplicité, Introduction est un petit modèle de complexité et d'audace.
Ah oui, Introduction ! Là aussi, les neurones sont mis à contribution pour identifier le pourquoi de ce titre. Dans la lexicographie du substantif, sur le site du CNRTL, on a cette définition :
Action de présenter une personne à une autre, de donner à une personne
la possibilité d'une rencontre, d'une entrevue avec quelqu'un ; le fait
d'être introduit, d'avoir ses entrées, d'être connu et accepté.
Oui, la plupart des scènes de ce film sont des entrevues d'un des deux personnages principaux avec une nouvelle connaissance. Cette dernière a la possibilité de changer positivement leur destin. Pourtant, ces rencontres ont toutes le point commun de n'aboutir sur rien du tout.
Eh ben, dis donc, de la part d'un stakhanoviste de la caméra et du scénario, écrivant et réalisant un ou deux long(s)-métrage(s) par an depuis la fin des années 2000 (le rythme était moins soutenu avant !), dans le cas particulier d'Introduction sur à peine une heure et six minutes, on ne s'attend pas à voir ses méninges autant appelées à bosser. Et je reconnais avoir kiffé l'expérience. Après tout, pourquoi le spectateur ne devrait pas accepter d'être bousculé de temps en temps.