Il y en a qui sont ressortis de ces réunions-là transformés, éveillés, presque « restaurés »,.

C'est à ces gens-là que je dois d'ailleurs le fait d'avoir tenté moi-même l'expérience : c'est à ces gens-là que je dois d'être allé voir, sur le tard, ce Je verrai toujours vos visages.

À force de le voir passer dans les tops 2024, j'avais fini par m'en faire une petite idée de ce film. Je m'imaginais un peu une œuvre à la Polisse de Maïwenn. D'un côté une volonté d'immersion dans un milieu et une institution qui se veuille la plus authentique possible, et de l'autre une brochette de grosses pointures en termes d'acteurs pour faire passer la pilule du verbiage et de l'artificialité du dispositif. Et le Polisse de Maïwenn, c'était un film que, bon an mal an, j'avais au final plutôt apprécié, donc pourquoi pas... Et c'est vrai que, tout le long de ce long-métrage de Jeanne Herry, j'ai effectivement bien retrouvé de cet esprit-là. Mais, je l'avoue, tout le long de ces presque deux heures de Je verrai toujours vos visages, je n'ai jamais vraiment réussi à me mettre dedans. Je n'ai jamais vraiment réussi à y croire.


En fait, les problèmes sont multiples et ce qui aurait dû être des forces pour le film se révèlent rapidement être des fardeaux.

La brochette d'acteurs ? Ah ça ! Jeanne Herry nous a sorti beaucoup de grands noms du cinéma hexagonal : Adèle Exarchopoulos, Gilles Lellouche, Élodie Bouchez, Jean-Pierre Darroussin, Leila Bekhti, Miou-Miou, Fred Testot... La liste est tellement longue que je n'ose même pas la prolonger. Et c'est en soi un premier souci, je trouve, pour le film. Tu arrives dans le film, tu connais déjà tout le monde en fait. Tu les connais d'autant plus que chacun vient avec son jeu d'acteur que tu lui connais depuis vingt films. Et je le concède, moi, déjà, ça, j'ai eu du mal à le dépasser.

J'ai d'autant plus eu du mal lorsque certains de jeux m'exaspèrent un peu. Adèle Exarchopoulos, par exemple, je n'y arrive pas du tout. Elle a tout le temps le même jeu. Je n'y crois jamais. À chaque fois que je la vois débarquer dans un film, je vois l'actrice et jamais le personnage. Alors rajoutez à ça Lellouche et Compagnie et pour moi c'est fini. Je vois toute une bande d'acteurs faire leur truc, du début jusqu'à la fin. L'illusion ne se lève jamais vraiment.


Il faut dire qu'en plus de ce problème-là, le dispositif posé par Jeanne Herry présente vite ses limites. Centré autour de cercles de discussions, le piège de » l'exclusi-verbiage » se referme rapidement sur l'autrice. Aussi cherche t-elle à casser sa routine comme elle peut : ici c'est l'arc d'Àdèle Exarchopoulos qu'on isole afin de pouvoir installer une alternance narrative, là c'est quelques « tranches de vie » entre encadrants qu'on dissémine comme on peut, mais au bout du compte, ça ne fait qu'insérer des bulles de diversion plutôt que ça ne participe à enrichir véritablement le propos. Parce qu'au bout du compte, ces arcs supplémentaires ne sont que de nouveaux moments de verbiages qui se rajoutent à d'autres moments de verbiages : du verbiage assis dans un bureau, du verbiage assis dans une voiture, du verbiage assis autour d'un verre...

Tout ça a un côté désespérément statique. L'image serait presque de trop. Et franchement, exclure la dimension visuelle du film serait presque lui rendre service tant on sent l'absence totale d'inspiration en termes de forme. A part quelques plans fixes et lointains qui savent parfois installer un espace de respiration, le reste est désespérément inhabité, voire standardisé. Ne prendre que le seul cas de la musique et de la photographie suffisent à convaincre : quelques notes de piano de temps en temps pour l'une ; l'immonde classique orange et bleu de l'autre. Clairement, voilà qui n'aide pas un film qui n'avait déjà pas besoin de ça.


Alors certes, une fois qu'on a souligné tous ces points, il reste le verbe ; le verbe joué.

Tout ça n'en dit pas moins quelque chose, c'est vrai.

Ce sont des cas particuliers qu'on pose et qu'on ausculte. C'est un dispositif peu connu – la justice restauratrice – qu'on met en évidence, et c'est toute une question qu'on pose finalement sur le système judiciaire, voire sur le système social en général. Sur ce point, je ne dis pas, on sent qu'il y a eu un travail d'écriture de fait pour à la fois essayer de coller au plus proche de la dimension testimoniale tout en parvenant à articuler l'ensemble autour d'un propos qu'on cherche à développer. Je ne vais pas vous mentir, quelques moments ont su capter mon intention (et cela on en reparle très vite).

Seulement voilà, même sur ce point, je trouve que le film se loupe quand même sur les grandes largeurs. Parce qu'alors que je venais de finir le film et que je m'interrogeais sur la raison de ma globale insensibilité à ce qui venait de m'être raconté – et alors que me venais déjà à l'esprit tous les points que je vous ai déjà évoqués – que j'ai fini par me rendre compte que tout le problème du film ne tenait pas seulement à ce qu'il racontait l'était dans un cadre plat et porté par des acteurs que je connais trop. Non, le problème il tenait aussi au fait que, à bien tout considérer, ce qu'il m'avait raconté correspondait exactement à ce que j'imaginais qu'une Jeanne Herry ou autre Maïwenn de service, me raconte.

« Roh vous savez ma p'tite dame, ces gens-là, ils savent pas vraiment ce qu'ils font. C'est vrai qu'ils en ont bavé dans la vie, qu'il y a de la misère, du chômage, et qu'on leur a pas tendu la main quand il l'aurait fallu... Mais bon qu'ils assument un peu aussi ! Et qu'ils sachent regarder de leur côté ! Qu'ils ne questionnent sur le fait que leurs parents leur mettaient des tartes tout le temps, aussi ! Alors allez hop ! Deux trois séances chez le psy et on arrête de se chercher des excuses ! »


Au final, tout se passe un peu trop bien, je trouve, dans ces réunions. Il n'y a pas vraiment de surprise. Pas vraiment d'éclat. Pas vraiment de refus. Ce qui est dit reste très consensuel, attendu au regard du déroulé archétypal qu'on s'imagine tous dans ce genre de situation. Il n'y a pas de réelle conflictualité. Pas de non-dit. Pas de situation indépassable. Tout est finalement fait et dit pour que ça aille tout le temps dans la même direction, au service d'une conclusion univoque, où tout semble finalement résolvable.

Alors d'accord, c'est très positive attitude et je ne suis pas contre les messages optimistes, mais par contre, en termes de crédibilité, ça en prend clairement un coup. Ça renforce chez moi cette impression de grand théâtre où chaque vient faire son petit numéro au service de la démonstration de Jeanne Herry.


D'ailleurs les rares moments qui marchent selon moi sont ceux qui rompent avec ces attendus.

Je pense par exemple à ce moment où Issa explique pourquoi il a accepté de demander l'expertise vocale. C'est le genre d'absurdité à laquelle je ne m'attendais pas. Le moment est cocasse et crée une complicité entre tous les participants, et cela par un moyen détourné. C'est l'une des rares fois où je n'avais pas l'impression d'avoir une démonstration frontale et littérale sous les yeux.

À l'inverse, certaines certes – notamment une à la toute fin – sont des combos de tout ce qui m'a crispé dans ce film.

Je pense notamment à la confrontation finale entre Chloé et son frère. Et voilà que débarque un nouvel acteur dont on a trop vu la gueule : Raphaël Quénard. Et – bien sûr – tout se passe extrêmement bien, tel qu'on l'aurait souhaité. Niveau de tension : zéro.

Résultat final : en ce qui me concerne, j'avoue sortir de là avec une légère impression de mascarade. J'ai beau sentir l'intention louable, je me retrouve néanmoins encore une fois avec du cinéma sujet qui entend m'expliquer la vie derrière ce qu'on présente comme une tranche de la vraie vie mais qui, à bien y regarder, reste une tranche très fantasmée par et pour un public spécifique dont je ne fais partie.


Tout n'est pas à jeter, c'est vrai. Dans le domaine on a bien vu pire et, sous un certain angle, je pense comprendre que certains puissent y retrouver leur compte.

Seulement voilà, pour moi, la recette reste trop connue, trop usée – et servie par des acteurs trop connus aux jeux trop usés – pour que ça puisse m'emporter.

Ces visages, je les ai trop vus. Ces paroles aussi. Et ces ficelles encore plus.

Ce cinéma, pour moi, a fait son temps, et je l'avoue très sincèrement : je n'en peux plus.

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il y a 7 jours

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