En genre pionnier de la mythologie américaine, le western est passé au crible de l’implacabilité Altmanienne. Plus qu’une démystification, ce grand film crépusculaire tendance Nouvel Hollywood, dans lequel l’héroïsme est mis à mal par un capitalisme rampant qui arrive à la vitesse d’une locomotive fumante venant écraser les valeurs de réunification du bon peuple, est proche de la perfection.
A une traduction française qui en abrège sa connotation, on lui préfèrera son titre original : John McCabe & Mrs. Miller. Plus perspicace et au fait de la véritable teneur de cette œuvre d’une grande puissance évocatrice, il met en avant les pérégrinations de ce couple de prospecteur d’un Ouest traditionnel balbutiant qui voit arriver le modernisme et sa cohorte de prédateurs aux dents acérés. L’alliance de la machine industrielle avec le monde du crime se fait jour dans un univers boueux aux confins d’un Far West dépeint comme une oraison funèbre drainant cupidité et sauvagerie.
A mille lieux des grands personnages de justicier doué de la gâchette, le personnage de John McCabe est dépeint comme un antihéros emprunté plutôt benêt. Avec son drôle de chapeau et sa barbe proéminente, il est plus proche du pied-tendre que du desperado. D’ailleurs tous les personnages sont caractérisés par cette absence d’apparats avantageux. Dans ce sens, le personnage du jeune pistolero interprété par Keith Carradine, avec son look de Billy le kid, est la parfaite interprétation littérale de cet anti héroïsme, alors qu’il peut être vu comme celui qui vient sauver le bon peuple, il finit dans une marre glacée après avoir été provoqué et froidement abattu par un blondinet poupon dans une espèce d’anti-duel caractérisé.
En plus d’une vision alternative de la mythologie westernienne s’interrogeant sur les racines de la création de l’Amérique, John McCabe est un grand film à l’esthétisme volontairement austère, magnifiquement photographié par le grand chef opérateur Vilmos Zsigmond, mettant aisément en avant les postures d’un Far West crépusculaire qu’Altman déconstruit avec une grande justesse, prenant le total contrepied du classicisme du genre. Le final est un exemple de perfection alternative avec ce chassé-croisé entre deux moments : le grand duel traditionnel avec les trois tueurs, dont la teneur est phagocytée par l’événement de l’incendie de l’église, venant en parasiter sa teneur dramatique, dans lequel le seul acte héroïque du film finit lamentablement enseveli sous la neige.
A la différence d’un Sam Peckinpah ou d’un Sergio Leone, deux autres grands peintres démystificateurs du genre, Altman en propose une vision totalement désenchantée et cynique qui ne prend jamais les apparats nostalgiques d’un temps de gloire passée.
La splendide BO de Leonard Cohen accompagne cette balade crépusculaire, lui donnant une connotation désenchantée et mélancolique. Comme si les deux étaient faites l’une pour l’autre. Une sorte de miracle en somme.