[Critique avec spoilers]


5,3 sur SensCritique, 33% et 31% sur Rotten Tomatoes, 5,3 sur IMDb... Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce deuxième Joker ne fait pas l'unanimité. Je suis pourtant ressorti de la séance avec une impression de satisfaction et d'intérêt assez totale, alors que j'y étais rentré avec une appréhension inévitable au vu de ce que j'avais entendu sur le film jusqu'ici. Cette surprise me pousse à essayer d'expliciter, en quatre points, ce que j'ai apprécié, en miroir de ce que je crois avoir compris faire les raisons du désamour de la majorité des spectateurs.


Une fausse comédie musicale


Joker n'est, d'abord, pas une vraie comédie musicale. C'est en tout cas l'impression qu'il m'a donné ; la musique ne prend pas une proportion démesurée, et les séquences musicales sont assez bien délimitées et mises en scène pour être presque à côté du reste du récit. Je développe rapidement trois points que j'ai apprécié autour du caractère musical du film.

D'abord, j'ai tout bêtement aimé les compositions. J'ai vu assez peu d'avis, qu'ils soient positifs ou négatifs, en parler ; mais le côté jazzy, laissant une belle place aux instruments, n'était pas pour me déplaire. La voix de Lady Gaga est évidemment irréprochable, et celle de Joaquin Phoenix est plutôt très convaincante également.

Ensuite, les chansons sont jouées, au sens où elles n'impliquent pas que les acteurs sortent de leur rôle ou se concentrent sur la musique pour abandonner les caractéristiques de leurs personnages. N'étant pas expert de comédies musicales, c'est peut-être souvent le cas ; mais je l'ai particulièrement relevé ici, tant les performances des deux têtes d'affiche sont irréprochables le reste du temps. Les moments musicaux deviennent donc des occasions supplémentaires de perfectionner leur incarnation.

Enfin et surtout, je pense que le film est une fausse comédie musicale au sens où les moments chantés ne font pas réellement avancer l'histoire. Ils sont, de manière assez évidente, l'expression romantisée de la relation entre le Joker et Harley Quinn, de leurs folies et de leur amour. Abandonnant le Joker, et si nous ne l'avions pas encore compris, Arthur demande d'ailleurs à Harley d'arrêter de chanter à la fin du film. Il veut sortir de cette expression excessive, qui a sa beauté, mais qui empêche d'aspirer à une existence moins centrée autour de ses délires meurtriers.


Un faux film de procès


Ensuite, je ne crois pas que Joker soit vraiment un film de procès. Il ne prend lui non plus pas tant de temps que ça ; on est beaucoup plus dans la prison que dans la salle de procès. Surtout, il n'est qu'un prétexte supplémentaire (tout comme les chansons) pour parler des thèmes du film : l'amour, la confiance, la folie et la façon dont la société la traite, les masques sociaux et la façon dont on les utilise ou dont on finit par les subir.

Il faut donc bien dire que le film ne donne pas à voir d'immenses plaidoiries, ou des personnages judiciaires particulièrement marquants. Harvey Dent est assez effacé, le juge a l'air assez d'accord de se faire rouler dessus malgré ses maigres protestations, et les témoins ne servent eux aussi qu'à faire s'exprimer le Joker.

Conclusion, jusqu'ici : si on veut une comédie musicale, on reste sur sa faim. Si on veut un film de procès, on peut légitimement trouver cet aspect trop peu exploité.


Un faux film de méchant


Mais, et c'est probablement là que le bât blesse, le Joker n'est pas non plus vraiment un film de méchants qui s'inscrirait dans l'univers DC. Je crois que le premier, dont on reparlera plus bas, remplissait plutôt toutes les cases de ce genre. Il était original, bien sûr ; peut-être même novateur sur certains aspects. Il était plus psychologique, plus social aussi, que ses prédécesseurs. Mais à la fin, il était quand même centré sur le magnétisme d'une figure de la pop-culture plus que sur un personnage humain : pourquoi le Joker est-il devenu le Joker ?

Ce deuxième opus prend un contre-pied assez total sur ce point. C'est en fait, selon moi en tout cas, un thriller psychologique, un film sur l'amour, sur la société et sur le fait d'être en décalage, sur les attentes de l'être aimé... Mais c'est difficilement un prequel à The Dark Knight. Il est assez peu violent ; il n'y a pas de meurtre (qui ne soit pas fantasmé par Arthur), de braquage de banque, de complot maléfique. Nul doute donc que, si certaines personnes espéraient que le premier film soit un genre d'introduction avant un blockbuster d'action qu'aurait été le deuxième, ils ont été déçus.


De la sociologie politique à la psychologie


Pour finir, je crois que j'ai particulièrement aimé le fait que le film abandonne une grosse partie des ambitions sociales ou politiques du premier, pour se concentrer sur la psychologie et les émotions de ses personnages. J'avais été assez peu emballé par les interprétations trop politiques du premier opus ; le Joker, ce n'est pas V pour Vendetta, et ce n'est certainement pas non plus Che Guevara ou Lénine. Il pouvait être intéressant de vouloir donner une épaisseur sociale à la folie du personnage, mais à la fin des fins, c'est bien un adulte inadapté, violenté et violent, esseulé, qui finit par commettre des meurtres pour des motifs que l'on peut difficilement qualifier de politique. Le fait de montrer que la société l'a laissé tomber n'en fait pas une icône révolutionnaire.

Ici, bien heureusement, Joker 2 se contente donc, dans un projet peut-être moins ambitieux, de nous parler d'amour et de folie, et de la possibilité de se défaire de ce qu'on a présenté jusqu'ici aux autres. Je trouve qu'il le fait bien, avec finesse, avec encore une fois des performances d'acting irréprochables, avec une prison angoissante et une relation amoureuse fondamentalement malsaine, et avec des questions éthiques, morales, ou à la limite philosophiques qui m'intéressent plus que les interprétations politiques de son prédécesseur.


Dans un pied-de-nez que j'ai trouvé un petit peu osé mais qui ne m'a pas déplu, Todd Philipps tue Joaquin Phoenix dans la dernière scène, et l'on peut voir son assassin se dessiner les cicatrices du (vrai ?) Joker en arrière-plan. Voilà donc, peut-être, les réponses aux questions que l'on s'est posés jusqu'ici : Joker 2, ce n'est même plus un film sur le Joker. C'est une proposition artistique autour d'un personnage célèbre, qui reprend certaines de ses caractéristiques pour proposer autre chose, et nous faire penser sur d'autres sujets que ceux auxquels on s'attendait. Logique, donc, qu'on perde beaucoup de monde en route ; mais moi, j'ai passé un moment de folie au cinéma.

Maouul22
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Maël Petitjean

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