On ne connaît que très mal le cinéma japonais en France. Lorsque les cinéphiles s'y aventurent, l'animation japonaise (le studio Ghibli en particulier) monopolise l'attention si bien que des cinéastes de talent de l'âge d'or japonais restent mal connus du grand public. Akira Kurosawa, comme Ozu ou Mizoguchi, fait parti de ceux-là.

Sorti en 1980, auréolé d'une Palme d'or, le film bénéficie d'un succès critique certain et relança la carrière de Kurosawa qui signa cinq ans plus tard un nouveau chef d'œuvre avec « Ran ». Cette histoire relate le destin du clan Takeda qui rêve de conquérir Kyoto pour prendre le pouvoir du pays. Dans un Japon en proie aux guerres claniques au XVIe siècle, la mort du chef Shingen plonge le clan Takeda dans le doute, sans personne à sa tête. Respectant la volonté du défunt et pour des raisons stratégiques, la mort de Shingen est dissimulée aux guerriers tandis que le kagemusha remplace Shingen grâce à sa ressemblance physique.

Bien que produit par George Lucas et Francis Ford Coppola et bien que la musique prenne un accent héroïque hollywoodien, le film garde toute sa saveur orientale. Les plans statiques succèdent aux batailles chevaleresques effrénées, rarement aussi bien filmées, le tout dans un Japon féodal magnifié. A la manière d'un peintre, Kurosawa s'empare de ses plus belles couleurs pour créer de fabuleux plans visuellement.

Fresque historique crépusculaire, « Kagemusha » est une véritable réflexion sur le pouvoir et ses faux-semblants. La guerre des chefs n'est pas l'apanage des partis politiques contemporains. Le clan Takeda est aussi livré à ce genre de conflits lorsque le chef incontesté disparaît. Le final, lorsque le « kagemusha » déchu de sa place livre un dernier combat en solitaire, par fidélité pour le clan Takeda, promet d'être poignant et vient sceller la tragédie shakespearienne qui vient de se dérouler sous nos yeux les trois heures précédentes.

Voilà ce qu'est « Kagemusha, l'ombre du guerrier » : un cinéaste japonais (Kurosawa) produit par des Américains (Lucas et Coppola) qui livre une tragédie que n'aurait pas reniée un Anglais (Shakespeare). Le melting pot est accompli, le chef d'œuvre est assuré.
potaille
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le 19 juin 2012

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