Nul n'est prophète en son pays... Et pourtant !

Akira Kurosawa peut être comparé à une drogue. Et il faut bien comprendre que son oeuvre ne s'arrête vraiment pas au simple Les Sept Samouraïs, chef-d'œuvre du cinéaste et l'un des piliers fondateurs du cinéma nippon. Non, ce qu'il faut comprendre c'est que chaque film est un chapitre de quelque chose de beaucoup plus vaste, indispensable et toujours plus réussi. La preuve avec Kagemusha.

Replaçons le contexte : Akira Kurosawa est en crise et tente même de se suicider. Ses films ne fonctionnent pas (et pourtant !) et le réalisateur est dans l'impasse pour trouver des producteurs. Et c'est du côté des USA qu'il va trouver son bonheur en les personnes de Georges Lucas et Francis Ford Coppola. Le film est donc bien plus qu'une épopée historique, c'est une renaissance pour le maître, le moyen de refaire surface et de retrouver confiance.

Kagemusha c'est l'histoire d'un grand chef de guerre japonais, Shingen Takeda qui aime se cacher derrière des sosies pendant une période trouble du Japon pendant laquelle le pays est en proie aux guerres de clan. Chacun cherche à atteindre Kyoto pour afin d'assoir sa dominance sur l'entièreté du territoire. Malheureusement, Shingen meurt et un voleur, son parfait sosie, vient le remplacer.

Comme à son habitude, Akira Kurosawa prend son temps pour développer son intrigue, si bien que le spectateur ne se perd jamais, intègre des détails indispensables au point de ne voir aucune scène superflue. Ainsi, dès le premier plan séquence de présentation des personnages, on comprend de quoi il retourne et on saisit la complexité des relations entre les personnages, leurs caractères et le génie de Shingen : c'est bien simple, on pose la caméra, trois personnages font face, l'un d'entre eux est agrandi et la discussion a lieu, rien d'autre, la simplicité au service de la complexité, la vulgarisation au service de l'histoire. Lorsqu'il meurt, puisque c'est inévitable, le spectateur se retrouve dépossédé de son maître, sans repères et cherche une solution. Une histoire donc qui en plus de retracer fidèlement l'ambiance d'un Japon du XVIème siècle, s'attarde sur la psychologie de personnages en constante évolution, aussi imprévisibles que bien construits et donc auxquels on s'attache très facilement. Tout semble vrai, et s'il n'y avait pas la mise en scène magique voire même poétique du réalisateur, on pourrait croire à un documentaire.

Le rôle de Katsuyori, tout en contradictions est tout à fait capital au film : d'abord prisonnier, il finit par remplacer Shingen dans son personnage, en oubliant jusqu'à ses dernières volontés. C'est d'ailleurs le personnage le plus élaboré, le plus creusé et c'est également celui qui évolue le plus. On le trouve pathétique de prime abord et puis on ne peut s'empêcher de s'y attacher, de voir en lui quelqu'un de plus grand, de vouloir comme lui prendre le pouvoir pour son aïeul (si on peut considérer le chef de clan comme son père) et livrer bataille. Car si toute sa vie n'est finalement que ça, la survie avant tout, d'où son passé de voleur notamment, il réussit à donner un souffle épique à son aventure, à son histoire et donc au spectateur qui l'accompagne tout au long du film.

Les scènes de dialogues s'enchaînent, intercoupées par des scènes de batailles épiques sur fond rouge et ombres chinoises. La caméra sait se faire oublier et l'on n'a aucune peine à s'immerger complètement dans ce qui semble être une fresque historique épique et plus encore. D'ailleurs, la volonté de bien faire est omniprésente et on ne peut s'y tromper : le spectateur voit le Cinéma en grand, pendant plus de 2h40 d'un film tantôt hypnotique, tantôt criant de vérité, tantôt poétique, tantôt violent et cruel. Aucun temps mort bien que l'action puisse retomber volontairement, doucement sans que la pression et l'intérêt diminuent d'un chouïa.

Il est pourtant rare qu'un réalisateur japonais réussisse son voyage aux Etats-Unis. Akira Kurosawa, une fois encore, fait montre d'un génie hors du commun et surpasse les règles hollywoodiennes instaurées, on s'en doute par la Fox, productrice du film. Les seuls moyens trahissent cette aventure américaine du réalisateur, au niveau de la musique par exemple. Sorte de mélange de deux cultures diamétralement opposées, chaque thème fait mouche, souligne discrètement l'action, apporte un intérêt à chaque scène, sans jamais envahir le jeu des acteurs et le décor planté. Pas de violons à foison mais des rythmes asiatiques, un orchestre sous forme de meltingpot oriental/occidental.

Bref, la magie est là et emporte le spectateur pour une odyssée au Japon, devient elle aussi universelle de par sa qualité globale sans qu'on puisse trouver de défaut majeur. Une véritable cure pour le réalisateur que l'on croyait K.O. mais qui a décidément plus d'un tour dans son sac. On pourrait débattre des heures durant du film que le résultat serait strictement identique : Akira Kurosawa fait partie du Cinéma avec un grand "C", celui qu'on ne voit pas assez souvent, éternel et envoutant.
Carlit0
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le 11 mars 2012

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