Pour qui découvrirait "L'étrange Monsieur Victor" sans rien en savoir, on pourrait croire qu'il s'agit d'un film de Marcel Pagnol, tant l'accent chantant du midi et les dialogues enlevés rappellent l'univers du natif d'Aubagne.
En réalité, le récit se déroule à Toulon, port militaire du Var, dont la rade est particulièrement célèbre. On l'aperçoit d'ailleurs lors des quelques extérieurs proposés par le réalisateur Jean Grémillon, même si le tournage s'est effectué pour l'essentiel à Berlin, pour le compte de l'UFA, la grande société de production allemande.
Ce qui pourra expliquer l'échec du film à sa sortie en 1938, tout ce qui venait d'Allemagne étant évidemment mal perçu, un an seulement avant que la guerre n'éclate.
Pourtant, Jean Grémillon signe un formidable film noir à la française, à l'opposé du réalisme poétique de Jean Renoir ou Marcel Carné, qui triomphaient à la même période.
On suit le destin contraire de plusieurs personnages, à commencer par le héros, commerçant sympathique et père de famille attentionné, dont on découvre rapidement la face sombre : également receleur, Monsieur Victor est en effet à la tête d'une bande de petits voyous.
A ce propos, ne lisez surtout pas le synopsis qui figure sur la fiche SC du film, qui vous raconte l'intégralité du film.
Je me contenterai d'évoquer les différents personnages qui entourent le grand Raimu, excellent dans le rôle-titre. Il y a là Bastien (Pierre Blanchar), le cordonnier jaloux, qui se retrouve accusé de meurtre à tort, puis envoyé au bagne de Cayenne.
Bastien est marié à Adrienne, incarnée par la belle Viviane Romance, qui n'attendra pas bien longtemps pour le remplacer par Robert (Andrex), un complice de la victime.
Enfin Madeleine Renaud incarne l'épouse de Monsieur Victor, qui jouera un rôle important dans la seconde partie du film.
Cette distribution de prestige contribue à faire de "L'étrange Monsieur Victor" un petit chef d'œuvre des années 30, à la frontière du drame et du polar, porté par la mise en scène remarquable de Jean Grémillon, qui évite habilement tout pathos et tout manichéisme.