On a beaucoup parlé de ce film depuis le festival de cannes, ce qui m’a un peu retenu d’aller le voir immédiatement. J’ai entendu autour de moi des personnes dire : « non, je n’ai pas envie de me confronter à ça ». C’est donc l’esprit libre de toute pression que je me suis installé dans la salle. Très vite j’ai compris que j’étais face à un grand film. Les films qui ont une ambition sociale sont souvent lourds dans leur volonté de démontrer, lourds dans leurs dialogues et lourds dans l’interprétation, dont le but inavoué est de créer une émotion, voire de faire couler quelques larmes et voilà, le tour est joué. Dès qu’un réalisateur veut sortir de ce piège, il tombe dans le documentaire, genre noble, qui montre sans mettre en scène. L’histoire de Souleymane est un film, mais il est aussi fort qu’un documentaire, puisque cette histoire est filmée à ras du bitume, à ras des bus qui frôlent le vélo, à ras de la vie tout court. Dans cette histoire, pas de gentils immigrés et de vilains Gaulois, tout le monde se vaut. Les Africains qui se rackettent entre eux, qui mentent à tout le monde et les « gaulois » qui méprisent les « autres », ces invisibles du quotidien. Les exceptions n’en sont que plus belles, tels ces bénévoles qui servent une soupe populaire aux premières heures du jour, comme ce vieil homme à qui il reste un peu d’humanité et à cette employée de l’office des réfugiés dont on devine la bonté sous un masque de neutralité. On pourrait se croire dans un documentaire de Raymond Depardon, mais on est au cinéma et au XXIe siècle. Le monde du travail est celui de l’ubérisation. Les scènes d’amour se passent en visio sur WhatsApp. Les moments d’amitié sont autant de blagues où on se chambre sur le football et les défauts attribués à tel ou tel pays. Les ruptures amoureuses se passent au téléphone et leur intensité passe par la pudeur des silences. L’interprétation de Abou Sangaré est absolument parfaite et son prix à Cannes totalement mérité. Du grand, du très grand cinéma.