S'embarquer avec un livreur uber, cela sentait le film à message et tous ses poncifs, surtout avec l'affiche annonçant : "Le film qui a bouleversé le festival de Cannes". Je croyais que depuis les Inconnus, on évitait pareil mauvais goût. Mais les retours étant bons, je me suis laissé tenter, et ma foi, cela en valait la peine.
Alors c'est vrai que le récit ne prend pas la peine de respirer, mais c'est en adéquation avec le rythme infernal que vit Souleymane, et le réalisateur prend un soin bien appliqué mais bienvenu à éviter justement l'empilement de poncifs. Ainsi des policiers ni trop agressifs, ni trop édulcorés, ainsi de quelques vignettes qui viennent nous faire respirer un peu, en montrant de la solidarité, soit de la part de Souleymane lui-même, soit envers lui. Car sinon, Souleymane voudrait bien aider les autres migrants, mais il a trop à faire lui-même pour ça. C'est vrai que ça empêche une vraie noirceur de se développer pleinement, mais en même temps, ça atteint son but d'éviter les clichés.
Par contre, on aurait sans doute aimé un portrait plus contrasté du personnage principal : ses réactions toujours impeccables -à peine s'énerve-t-il sur un restaurateur qui le méprise ouvertement-, le rendent assez peu humain. Souleymane est un homme programme, qui n'existe malheureusement que pour être placé dans une avalanche d'emmerdements pour qu'on ait aucun doute sur le fait qu'il faut compatir carrément avec ses malheurs.
L'histoire de Souleymane aurait donc pu rester un petit film pétri de bonnes intentions s'il n'y avait la très belle scène finale, prenant le temps de poser une histoire, la vraie celle-là. Parce que Souleymane, il vit dans le mensonge, il se dope au mensonge, il s'infuse le mensonge par les écouteurs. Et on voit bien que ça le fatigue tout ça, ça ne l'intéresse pas, seulement il a une audience pour demander l'asile, et il faut qu'il raconte quelque chose, n'importe quoi, tant qu'il passe pour une victime de la tyrannie. Mais quand la vérité prend le relais, enfin l'émotion peut advenir.