Publié en 1949, le roman L'Homme Au Bras D'Or, rédigé par Nelson Algreen, intéresse fortement le comédien John Garfield qui souhaite incarner le personnage principal dans une adaptation cinématographique. Après avoir acquit les droits du roman, Garfield engage le scénariste Walter Meltzer et présente un premier jet du script aux responsables du Code Hays (appliqué de façon stricte de 1934 à 1952, puis de façon de moins en moins rigoriste jusqu’en 1966) qui rejette un tel scénario abordant la dépendance à la drogue.

Néanmoins, l'idée d'adapter le roman d'Algreen ressurgit en 1954 avec la nouvelle acquisition des droits par le réalisateur Otto Preminger. Déjà habitué aux foudres de la censure depuis l'anticonformiste La Lune Était Bleue, réalisé en 1952, le célèbre cinéaste décide de passer outre le Code Hays et engage l'auteur original du roman pour adapter ce dernier sous la forme d'un nouveau script. L'entente étant peu cordiale entre les deux hommes, Preminger se tourne vers Walter Newman qui dénature alors le roman en métamorphosant la personnalité des personnages ainsi que la construction narrative. Ben Hecht, scénariste célébré pour ses travaux rédactionnels aux côtés d'Alfred Hitchcock, King Vidor et de Preminger, affinera le tout sans être crédité au générique.

Frankie Machine revient chez lui après un séjour de six mois en cure de désintoxication. S'étant découvert une passion pour la batterie durant sa cure, il rêve désormais de faire carrière au sein d'un orchestre de jazz, au grand dam de son épouse handicapée, Zosh, manipulatrice aguerrie qui exige la continuelle présence de Frankie à ses côtés. Mais l'ambition, la sensibilité et les fréquentations de Frankie le font replonger dans la drogue. Son seul salut sera peut-être Molly, son ex-fiancée toujours amoureuse de lui...

Si le scénario est d'abord proposé à Marlon Brando pour camper Frankie, c'est Frank Sinatra qui va impitoyablement se bagarrer pour obtenir le rôle. Déjà évincé l'année précédente par Elia Kazan sur le tournage de Sur Les Quais en faveur de Brando, le chanteur-acteur veut absolument prendre sa revanche. C'est grâce à son Oscar obtenu pour Tant Qu'Il Y Aura Des Hommes que Sinatra aura satisfaction et passera plusieurs semaines dans une clinique de désintoxication afin d'observer le sevrage d'héroïnomanes. Il apprend également à jouer de la batterie sous l'égide de Shelly Manne, célèbre musicien de jazz, afin d'être en parfaite osmose avec son personnage.

Autre personnage à part entière du film, la musique se voit composée, arrangée et dirigée par Elmer Bernstein. Un somptueux score intemporel désormais qualifié comme étant l'une des meilleures bandes originales de jazz des années 1950. Une version vocale du thème composé pour le personnage de Molly, incarné par Kim Novak, se verra par ailleurs enregistrée par un certain nombre d'artistes réputés dont The Gaylords, Dick Jacobs, The Honey Dreamers, Danny Kaye, Jonah Jones, Buddy Morrow et beaucoup d'autres tout au long de la décennie.

Car si Eleanor Parker se voit indéniablement remarquée dans le rôle de l'épouse despotique de Sinatra, c'est assurément Kim Novak qui remporte tous les suffrages avec son rôle de jeune femme amoureuse et bienveillante, délaissant un tant soit peu son image de sex-symbol prodiguée par la Columbia et le réalisateur Richard Quine, fou amoureux d'elle, qui la firent connaître au public. Et bien qu'elle fut fortement critiquée à l'époque pour son hypothétique absence de talent, il faut reconnaître qu'elle est absolument parfaite dans la peau de Molly.

En soutenant que le film n'inciterait aucun spectateur à prendre de la drogue, United Artists, qui avait investi 1 million de dollars dans la production, a choisi de distribuer l’œuvre sans la soumettre à l'approbation du Code Hays, même si cela pouvait entraîner une amende de 25 000 $ de la part de la MPAA. Le président de United Artists, Arthur Krim, exprime alors l'espoir à ce que le Code Hays fasse une exception à ses règles habituelles pour accorder l'approbation du film en raison de son immense potentiel de service public. Cependant, début décembre 1955, un imbroglio se crée quand la PCA refuse au film le sceau du Code. Décision confirmée en appel devant la MPAA. En conséquence, United Artists démissionne immédiatement de la MPAA et la National Legion of Decency manifeste alors son désaccord avec la décision de la PCA en attribuant au film la note B, signifiant "moralement répréhensible en partie pour tous", au lieu de la note C exprimant "condamné", qui est la note normalement attribuée aux films qui se voit refuser le sceau du Code. Les grands circuits de cinéma refusent également d'interdire le film et le projettent en salles malgré l'absence de sceau du Code. À la suite de cette controverse qui ébranla Hollywood, la MPAA a enquêté et révisé les codes de production, accordant aux films ultérieurs beaucoup plus de liberté pour explorer en profondeur des sujets jusque-là tabous tels que la toxicomanie, le métissage, l'avortement et la prostitution. Ce qui prouve, une nouvelle fois, que c'est souvent par la désobéissance que l'on peut positivement faire évoluer le monde.

Avec plus de 4 millions $ de bénéfice sur le seul sol nord-américain et ses 4 nominations lors de la cérémonie des Oscars en 1956, L'Homme Au Bras D'Or reste l’œuvre pionnière au cinéma à aborder de front l'univers de la drogue (comme le feront plus tard Easy Rider, Moi, Christiane F., 13 Ans, Droguée, Prostituée... , Rush, Trainspotting, Requiem For A Dream et beaucoup d'autres). Une pépite noire remarquablement mise en scène par un Preminger très impliqué et sûrement la meilleure performance à l'écran de Frank Sinatra.

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le 8 févr. 2025

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