D'habitude, j'aime beaucoup Wes Anderson. Sa maniaquerie, ses plans tirés aux cordeau, son souci méticuleux que rien de ce qu'il raconte n'ait l'air trop réel ou trop spontané. Mais avec L'Île aux chiens, Anderson semble avoir trouvé ses limites.
L'Île aux chiens raconte donc l'histoire d'Atari, un orphelin privé de son chien-garde-du-corps "Spots" par un décret scélérat voté par son "oncle éloigné", Kobayashi-San. Kobayashi-san est lui même l'héritier du clan Kobayashi, lequel a juré la destruction des chiens au profit des chats dans la région de Mégasaki. Il est épaulé dans cette tâche par les Yakuzas, incarnés par l'ignoble Major-Domo. Le décret quant à lui, prenant pour raison la propagation d'une maladie canine dangereuse, établit la déportation (puis l'extermination) de tous les chiens de la région vers une gigantesque décharge insulaire : l'île poubelle, où Atari se rendra pour retrouver son fidèle compagnon. Il sera épaulé dans sa tâche par un groupe de "chiens alpha" et une équipe de lycéens pro-chiens.
L'histoire en elle même ne présente pas grand intérêt, et le petit Atari semble parfaitement dénué d'émotion. Il entretient avec les chiens un rapport de dominant à dominé (n'apprenant jamais rien d'eux) il se contente de refuser l'insubordination de Chief (un chien errant ténébreux), et de récompenser celui-ci à coup de biscuits chaque fois qu'il se conformera à ses désirs comme un bon chien-chien. Ce rapport obstinément fermé d'Atari aux chiens étouffe tout développement d'un propos sur la tolérance, toute parabole sur l'histoire récente du Japon, puisqu'Atari ne représente qu'une domination plus bienveillante que celle de son oncle, et jamais une opportunité de libération pour eux. Ils seront animaux de compagnie ou rien.
D'ailleurs pourquoi le Japon comme cadre à cette histoire ? Mystère. Un décret municipal interdisant la possession d'un chien aurait pu être voté dans n'importe quelle ville de ce monde, sans qu'il soit nécessaire de le justifier par une histoire de haine clanique pro-chat, chats qui n'apparaissent d'ailleurs jamais comme ennemis des chiens, puisque les ennemis des chiens sont des chiens-robots (remplacer des chiens par des chiens robots, quel plan brillant !). Pire, le choix du Japon force Wes Anderson à introduire un personnage d’interprète pour les discours du maire (les personnages japonais ne sont pas doublés) afin que ceux-ci soient compréhensible du public étranger. Mais QUI à l'étranger se soucie d'un décret municipal sur la population canine d'une ville japonaise ? Bilan, les japonais ont droit à un doublage en anglais d'un discours en japonais (brillant, encore une fois).
La raison du choix du Japon est en réalité plutôt à rechercher du côté des possibilités esthétiques ouvertes par l'architecture et l'écriture du pays, mais soit.
Au final, ce qui aurait pu être une sympathique histoire d'amitié entre un jeune homme et son chien se retrouve oblitéré par le refus d'Anderson de faire bouger sa caméra autrement que sur un axe orthogonal, certes représentatif de la rigidité de la société japonaise mais convenant mal à un récit à priori inspiré par les sentiment d'un garçon pour son seul ami. Pour pallier à cette raideur, y compris dans la psyché des personnages (dois-je parler de la petite tomboy américaine qui secoue une équipe de jeune lycéens pour aider Atari ? Du scientifique ? Du maire ? etc...), Anderson les fait pleurer souvent, mais ces larmes sont malheureusement aussi rigides et géométriquement parfaites que le reste de sa réalisation, bloquant tout sentiment d'empathie avec les personnages humains.
À la fin, l'extermination des chiens par gaz au wazabi empoisonné (mon dieu que c'est fin) échoue lamentablement grâce au hacker du groupe de lycéen (sosie officiel du hacker de Golden Eye), montré seulement deux secondes et demi au milieu du film, bien centré dans le "hacker's corner" de la salle d'étude, dans ce qui s'avèrera être le fusil de Tchekhov le plus lourdingue du cinéma d'animation. Et le maire confesse ses crimes, car il a tenté de faire passer son neveu pour mort quand il a compris que celui-ci avait pris le parti des chiens...
Seul motif de pardon à ce film, sa mignonnerie générale, quelques blagues bien placées et, malgré tout, une esthétique intéressante ainsi qu'un doublage d'excellente qualité. Mais c'est vraiment parce que je t'aime bien, Wes Anderson...