L'autre nuit, j'ai rêvé que je fêtais tranquillement une fête de famille sous l'oeil avisé de... Kore-Eda. On lui posait des questions mais, moi en retrait, n'osait pas m'approcher. Crainte d'un rejet de sa part ? Peu à l'aise dans l'exercice du dialogue entre le spectateur et l'artiste ? Peur d'être imposant ? Moi, à l'apparence "twink" juvénile reconnaissable et peu imposante, flirtant quasi-quotidiennement avec les rencontres de cinéastes qui finiront par me reconnaître au terme de plusieurs occurrences, ne songe pas un seul instant qu'il puisse plus déranger qu'un autre l'ordre et les secrets de Mr Kore-Eda.
Le visionnage de Monster (titre international infiniment plus juste que L'Innocence...) s'est avérée éloquent quant au rapport conflictuel que j'ai entretenu avec le chef de file du cinéma japonais contemporain naturaliste dans mon songe. Effectivement, après une parenthèse francophone confuse (La Vérité) et une deuxième parenthèse, plus "périplesque" d'une part par sa construction narrative et d'autre part par sa production sud-coréenne (Les Bonnes Étoiles), Kore-Eda renoue avec un cinéma purement naturaliste, après la victoire du bouleversant Une affaire de famille en 2018, à ce jour son plus grand film mais dont le naturalisme s'avère au bout du compte peu "jusqu'au-boutiste" en prenant du recul.
La teneur jusqu'au-boutiste de Monster, si on s'en tient à son titre, demeure dans son exploration des lieux putrides dans lesquels nos personnages se déploient, en opposition avec les lieux de la vie courante où les seules actions visibles sont tout bonnement inhumaines. Le sujet du film, Minato, est l'objet d'un même laps de temps dont nous découvrons l'étrange cas sous l'angle de plusieurs points de vue différents, motif typique d'un whodunit dont la forme sert de prétexte à déployer les travers de chaque témoignant (le rapprochement avec Rashōmon demeure évident). Plus précisément, Monster allégorise la cruauté sous ses différentes facettes ; celle commise par un enseignant n'aura jamais le même impact que celle d'un écolier.
L'effet de boucle provoqué par l'amorce sur l'incendie, et débouchant sur un plan en plein coeur d'un typhon, confirment le souffle naturel dans lequel baigne le film et le fait que l'un des deux ait été provoqué témoigne de l'effet de bouleversement des comportements humains odieux sur les éléments naturels. On se rapproche presque d'un La Bruyère dans une telle étude de caractères. Outre l'analogie hommes/nature, ce prologue et cette conclusion évoquent singulièrement pressions sociales et pulsion de vie à la fois, animant chaque individu.
Radical dans le bon sens du terme, et riche d'une brillante construction (un peu lassante sur la fin, dirait-on), un 16ème film puissant et aux diverses couches de lecture toutes pertinentes, dont la vision aboutit en nous une profonde remise en question de nos actes et de notre devenir.
Et au bout du compte, dans mon rêve, avais-je juste peur que Mr Kore-Eda relève en moi une monstruosité que nul n'aurait soupçonné ?...