L’innocence (Kaibutsu, Monstre) fut mon deuxième contact avec la filmographie du cinéaste japonais KORE-EDA Hirokazu après Une Affaire de famille que j’avais plutôt bien apprécié. A mon avis, ce dernier film le surpasse largement pour sa maîtrise dans la plupart des domaines qu’il explore.
L'Innocence, c’est avant tout un scénario et une mise en scène habilement exécutées, de manière à manipuler continuellement le spectateur en jouant sur les points de vue des différents protagonistes. On alterne ainsi successivement entre ceux-ci et notre vision du récit se retrouve chamboulée à chaque changement de perspective du récit. Le doute et le suspense sont maîtrisés de manière à ce que certaines questions trouvent des réponses au fur et à mesure que l’histoire progresse mais que certaines demeurent en suspens jusqu’au bout.
Tout cela participe à donner un rythme soutenu au long métrage, en plus d’un montage efficace, d’une photographie particulièrement soignée ainsi qu’à la bande originale signée SAKAMOTO Ryuichi (de manière posthume; les crédits finaux rendent d’ailleurs hommage au compositeur nippon) assez discrète mais toujours dans le propos.
Au delà de la structure scénaristiques, le récit puise sa force dans les thèmes abordés: si les rapports humains étaient déjà au premier plan dans Une Affaire de famille, qui traitait comme son titre l’indique entre autres de la famille, L'Innocence est toujours centré sur ceux-ci mais d’une manière différente: la famille est toujours présente mais n’est qu’une couche du récit, qui se centre à la fois sur l’innocence dans les deux sens du terme: l’innocence enfantine qui mène des enfants à négliger leur environnement pour le meilleur et pour le pire, causant tantôt des drames mais également l’innocence juridique, compliquée à prouver face au témoignage de l’enfant et des parents. KORE-EDA met également l’emphase sur la vérité, les témoignages, la parole, les conséquences de celle-ci, le harcèlement et enfin l’homosexualité, qui malgré son apparition tardive prend une importance cruciale dans le film.
Tout cela est crédible grâce au très bon jeu d’acteur: KORE-EDA a su diriger avec brio enfants comme adultes qui signent tous une très bonne performance, notamment le binôme de jeunes.
KORE-EDA signe donc un excellent film qui pourra nous rappeler à la fois La Chasse dans son étude des conséquences de la parole enfantine (mais sa nature et son traitement restent différents) ou Mademoiselle et Le Dernier duel dans la complexité de leurs structures narratives, qui se révèlent grâce à leurs points de vue. Le film conserve cependant une part d’originalité dans la manière qu’a KORE-EDA à mettre en valeur les relations entre les personnages de manière singulière.