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Une beauté à la fois complexe et minimaliste

Un film qui marque par sa beauté énigmatique, qui se décompose en plusieurs couches, et paradoxalement minimaliste. Arrivé à la moitié du film, je comprenais de moins en moins de qui ou de quoi parlait le film. Le film se révèle assez fort dans la manière de casser son propre manichéisme dans ses personnages, en nous montrant d'abord une certaine hypocrisie institutionnalisée, tout en la déconstruisant dans un second temps. Il prendra effectivement son temps avant de nous dévoiler la psyché des personnages, notamment dans la scène des trompettes (qui fera d'ailleurs écho indirectement à une autre scène forte du film). Les dialogues seront d'un côté d'un nihilisme assez terrible ("je mens, sinon les gens sauront que je ne serai jamais heureux"), mais accompagné d'une bienveillance, que je qualifierai de quasi-inattendu, notamment venant d'un personnage qui semblait très froid. Le film me ferait presque penser par moment à "Himizu" de Sion Sono, dans le fatalisme nihiliste, mais qui n'est ici pas vraiment poussé à un tel extrême, et qui se veut bien plus heureux dans son dénouement. Dénouement qui laisse d'ailleurs à interprétation. Je ne sais à vrai dire pas trop quoi en penser, il y a quelque chose qui semble au premier abord très heureux, mais qui semble cacher une réalité bien sombre.

Il me fait presque penser à "The Son" de Florian Zeller, sorti aussi cette année, dans la manière d'aborder l'enfance plutôt d'un point de vue extérieur qu'intérieur, et dans la manière de perdre le spectateur. Même si la comparaison peut sembler malvenue, car "The Son" manque probablement de subtilité et appuie un peu trop sa lourdeur, là où justement "L'Innocence" réussit à garder une certaine subtilité, que j'aurais envie de qualifier d'excessive, car au final le film reste très timide, à l'image de ses personnages, ce qui est paradoxalement aussi la force du film, mais j'aurais voulu en voir plus de leur part.

Le casting est vraiment bon, Soya Kurokawa qui joue Minato est vraiment touchant avec sa gueule d'ange, malgré un certain refoulement très visible, et son camarade, joué par Hinata Hiiragi, contrastera un peu, avec son air toujours joyeux et insouciant. Il nous fera d'ailleurs rire à plusieurs reprises, notamment avec son "Pardon j'ai menti", qui provoqua un fou rire dans la salle, malgré l'ignominie de ladite scène. Et je citerai aussi le professeur, joué par Eita Nagayama, avec une évolution assez étonnante, quelqu'un qui veut bien faire mais qui semble un peu perdu et démuni.

Nous avons aussi une belle bande son au piano, composé par Ryūichi Sakamoto, qui semble malheureusement bel et bien être sa dernière bande originale d'après le générique.

Bref, un film qui se joue de nous intelligemment, dans un espèce d'imbroglio énigmatique, pour aborder l'innocence de l'enfance de manière multiple et détourné, et la difficulté de vivre en marge de la société avec le poids des normes. Le film se voudra tout de même assez timide sur la démonstration de certaines choses, en adoptant un certain minimalisme, mais c'est peut-être pour cela qu'il a tendance à me hanter d'autant plus. On nous laisse entrevoir un monde entre lumières et ténèbres, dont on ne sait pas vraiment comment cela finira.

Mais bon, "ce qui s'est réellement passé n'a aucune importance". A moins que ?

(Vu le 28 octobre 2023 en VOSTFR au cinéma, à l'occasion de "Mon Premier Festival")

On en parle dans le Ciné-florg #59

Tiflorg
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le 8 nov. 2023

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