Un soir d'octobre, on se retrouve à regarder, par curiosité, ce film de Philippe Garrel présenté à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes en 2015.
A l'instar d'une oeuvre littéraire, un film peut aussi faire écho, entrer dans un surprenant dialogue autobiographique, résonner en vous comme s'il vous parlait d'une situation que vous rencontrez, posait les questions que vous vous posez.
Pierre et Manon vivent ensemble, paraissent s'aimer, mais chacun entretient une liaison parallèle.
(Personnellement, je comprends Manon : son mec est vraiment très chiant, tire toujours une tête de 10km et ne veut jamais l'accompagner dans ses sorties - qu'il ne vienne pas se plaindre, après ça)
L'analyse est si juste, qu'on pourrait croire à un film réalisé par une femme : dans le match qui oppose le coeur et le corps, Pierre parvient davantage à garder la tête froide, alors que Manon confesse (par la voix off, hmm, sensuelle de Louis Garrel) "entrer dans un territoire inconnu" dans lequel elle "se perd". On sent l'attachement amoureux toujours sur le fil du rasoir. Mention spéciale à la très excellente et convaincante princesse Clotilde, que j'ai été heureuse de retrouver dans un rôle tenu avec tant de talent !
Étonnamment, la question sexuelle, pourtant cruciale, n'est pas vraiment montrée : Garrel choisit d'axer son récit autour du drame intime et sentimental des deux personnages dont le lien s'étiole peu à peu et qui s'interrogent sur leur histoire, conscients d'avoir atteint un point de non-retour.
Que penser de ce titre ? Après tout, les hommes aussi ont leur part d'obscurité, très bien rendue par un Stanislas Mehrar taciturne et profond. Mais bien sûr, c'est surtout la part secrète des femmes qui intrigue le réalisateur, les conversations complices qu'elles ont entre elles, les confessions impudiques que les hommes ne peuvent entendre, atteindre, l'absolu de leurs attachements, leurs amours souvent sans mélange, l'entièreté de leurs engagements.
Tous les personnages sont fragiles, hésitants, oiseaux blessés n'hésitant pas à montrer leurs failles avec beaucoup de sobriété et de sincérité, fondus dans ce noir et blanc si esthétique.
J'ai beaucoup goûté ce très beau film, qui possède tous les charmes et les défauts qu'on adore détester dans le cinéma d'auteur français : ce théâtre de l'intime qui s'écoute parfois un peu parler, ces larmes contenues, ce lyrisme conjugal tout en retenue et en intensité, ces sentiments qu'on interroge sans cesse, la confiance entaillée et ces perpétuelles obsessions amoureuses...
En ce qui me concerne : j'aime tout, les yeux fermés.