En plus d’un remarquable exercice de style inventif et incroyablement rythmé, La Barrière de Chair est également une jolie métaphore sur la lutte des plus faibles dans un Japon occupé d’après-guerre.
Déjà une première chose frappe dans le cinéma de Suzuki, au-delà du style, unique, reconnaissable entre tous, une patte indéniable, c’est que ses personnages qu’on catégoriserait victimes, ou perdants de la société, ne subissent jamais, ils sont dans la lutte permanente face à leurs oppresseurs. Que ce soit les ouvriers de La Vie d’un Tatoué, ou les prostitués dont il est question dans ce film, ils anticipent les persécutions et les retournent contre leur bourreau.
Au-delà de l’aspect sociétal, ou social, quoique ce dernier terme ne convient pas à l’œuvre de Suzuki, puisqu’il n’y a jamais de constat asséné de lamentations, ni morale rédemptrice, c’est surtout dans une sorte de surréalisme latent que le film puise toute son énergie. On retrouve toujours la stylisation et l’inventivité permanente, marque de fabrique Suzukienne par excellence, mais également une sorte d’abstraction visuelle conférant presque au fantastique sadien. Buñuel n’est pas loin.
Ici les héroïnes féminines, personnages haut en couleur, et qui s’affirment en tant que telles, jettent leur dévolu sur un homme encore plus féroce et redoutablesqu’elles, interprété par Jo Shishido, l’acteur fétiche de Suzuki. Elles, qui n’utilisent l’homme qu’à des fins pécuniaires, trouvent en lui leur équivalent masculin en terme de sauvagerie. Car c’est de sauvagerie qu’il s’agit dans La Barrière de Chair, de cette furieuse rédemption face à l’oppression.
Le style est encore une fois le véhicule qui sert la mise en scène au détriment de la narration, avec cette façon de faire reconnaissable entre tous. Un film de Suzuki est un film de Suzuki, comme un Fellini était un Fellini ou un Buñuel était un Buñuel, si l’on veut bien rester dans la catégorie des surréalistes.