La charrette fantôme de Duvivier (1940) est un film étrange. La charrette, c'est le service de récupération des âmes des défunts. Celui ou celle qui l'entend sait que sa fin est proche. Et celui qui meurt au douzième coup de minuit du 31 décembre va conduire cette charrette pendant un an. C'est une punition. Le conducteur de la charrette voit ainsi le mal qu'il a fait sans pouvoir y remédier.
Comme souvent lorsque je vois des films de cette époque d'avant-guerre, je suis confronté à des incompréhensions ou des ambiguïtés que je ne parviens pas à lever.
Soit, je n'ai pas le référentiel de l'époque qui lèverait toutes les incertitudes, soit au contraire, c'est la volonté du cinéaste d'entretenir ce flou.
Je préfère et adopte la deuxième option car elle m'augmente la part d'interprétation et par là, la profondeur des personnages. Et ici, on est bien dans ce cas. Dans un pays imaginaire et intemporel, l'action tourne autour de 2 mondes qui s'interpénètrent : les bas-fonds (les ivrognes, les clochards, les laissés pour compte, la désespérance …), de l'autre, l'armée du salut avec l'ordre, les grades militaire, les asiles et les soupes populaires, la foi en l'homme, l'espoir
On découvre que les 2 mondes sont bien plus complexes que le simple classement ci-dessus. Dans les bas-fonds, certains ont un passé (on dirait aujourd'hui, un background) et ont dégringolé, plongé et se vautrent dans la fange. Pierre Fresnay était un souffleur de verre admiré et respecté jusqu'à qu'un problème de santé lui ait fait perdre son travail et l'ait plongé dans l'alcool. Un autre a eu été un médecin avant qu'il plonge pour une histoire de femme.
De même que côté Armée du salut, on a des personnages variés qui marquent plus ou moins d'empathie. Certains ont été tirés des bas-fonds. D'autres sont investis d'une mission hors-norme consistant à remettre les gens dans le droit chemin.
Le film va mettre en contact une salutiste, Edith (Micheline Francey, lumineuse et malade des poumons) sur le chemin de David (P. Fresnay), plongé dans l'alcool et mal entouré (Louis Jouvet, sorte d'anarchiste haineux et instruit). Refusant de ne voir jamais autre chose que la partie saine d'un homme, Edith n'aura de cesse de tirer David de la fange où il se complaît au point qu'elle finira par en échanger sa vie pour obtenir sa rédemption.
Plusieurs scènes sont d'une très grande beauté : lorsque Edith est insultée et "arrosée" par un verre d'alcool dans un bouge, son visage reste de marbre et transfigure un des protagonistes. Ainsi qu'évidemment la toute dernière scène.
Les scènes avec Louis Jouvet (sur les quais pour refuser le travail de porte-faix, lorsqu'il fait la manche (menaçante) auprès d'une bourgeoise) sont de grands moments. On sent qu'il incarne le mal et qu'il entraîne ses compagnons vers le fond.
Bien sûr, on peut ne voir qu'un insupportable prêchi-prêcha. Je préfère plutôt voir la lutte du bien et du mal avec ses réussites et ses échecs, sans me préoccuper des aspects religieux qui n'y sont qu'accessoires. C'est un film que je découvre. C'est un film que je sais qu'il me faudra revoir car je suis certain que j'y découvrirai d'autres aspects.