Après Kafka, Marx : Petri s'est demandé pourquoi l'Italien de la seconde moitié du XXᵉ siècle est un afficionado du syndicalisme, et pourquoi les étudiants de son pays ont pris plus à cœur qu'ailleurs les mots et les valeurs du capitalisme.


On est marqué d'entrée par la recherche d'une alliance des étudiants avec les ouvriers, ce pacte entre frères ennemis signé dans le sang de l'intérêt commun traversant les classes. L'homme de la classe ouvrière n'est plus un ouvrier, c'est un outil. Mais un outil qui raisonne ("raggiona, raggiona", insiste Lulu), et bien content, finalement, de pouvoir se fier aux paroles de ses pairs, même s'ils sont beaucoup plus jeunes. La poudrière de la conscience politique italienne a eu cette particularité d'atteindre le point de fusion de ses éléments les plus éloignés entre eux. Un communisme social, en fait, à défaut d'une politique ou d'une économie à sa mesure.


La graine communiste qui germe dans l'esprit de Lulu a pour terreau la frustration. Elle a abattu un mur, mais pas celui qui sépare les patrons de l'ouvrier : celui avec qui ce dernier s'enferme. « La réalité est la réalité », voilà la portée de la philosophie prolétarienne qui soudain voit dans le communisme une vengeance contre un monde où le superflu n'est même pas forcément considéré comme inutile, mais plus prosaïquement comme le symbole de l'oppresseur. C'est une mise en commun rageuse, haineuse même, que Petri démonte et remonte à sa guise comme s'il avait mis le doigt sur ce qui a permis la diabolisation de l'idéologie marxiste au-delà de ses promesses d'austérité.


Quand on sait de quoi Petri est capable, ce Les Temps Modernes d'après-68 est un peu plat et brumeux. Il prend une piste psychologique prometteuse dont il se dissocie assez vite et tient à montrer le creuset politique pour ce qu'il est : un monde brûlant et bouillonnant. Peu épanouissant artistiquement, ce décor est néanmoins révélateur sur notre propre monde. D'où qu'on soit en Europe, une part de nous vient des usines italiennes où l'on travaillait à la pièce. Qui qu'on soit, on a encore en nous un peu de l'éclat de Gian Maria Volontè.


Quantième Art

EowynCwper
7
Écrit par

Créée

le 12 août 2020

Critique lue 350 fois

4 j'aime

Eowyn Cwper

Écrit par

Critique lue 350 fois

4

D'autres avis sur La Classe ouvrière va au paradis

La Classe ouvrière va au paradis
oso
8

La bête dans les nuages

S’il fallait isoler une séquence de la classe ouvrière va au paradis pour le résumer, ce serait probablement cette partie de jambes en l’air très romantique entre un ouvrier blasé et la muse qui lui...

Par

le 6 juil. 2015

14 j'aime

La Classe ouvrière va au paradis
Utopia
9

OPERAI !

La classe ouvrière va au paradis est un grand film politique. C'est à ce caractère politique que je réduis ma critique. Dans ce long-métrage, on ne parle pas de l'Usine, on la montre. On ne parle...

le 30 juin 2015

11 j'aime

La Classe ouvrière va au paradis
AMCHI
7

En attendant le paradis, c'est l'enfer sur Terre

Dans La Classe ouvrière va au paradis on a encore droit à une incroyable prestation survoltée de Gian Maria Volonte, confirmant de film en film qu'il est l'un des mes acteurs préférés.Une œuvre...

le 8 juin 2022

10 j'aime

6

Du même critique

Ne coupez pas !
EowynCwper
10

Du pur génie, un cours de cinéma drôle et magnifique

Quand on m’a contacté pour me proposer de voir le film en avant-première, je suis parti avec de gros préjugés : je ne suis pas un grand fan du cinéma japonais, et encore moins de films d’horreur. En...

le 26 oct. 2018

8 j'aime

La Forêt sombre
EowynCwper
3

Critique de La Forêt sombre par Eowyn Cwper

(Pour un maximum d'éléments de contexte, voyez ma critique du premier tome.) Liu Cixin signe une ouverture qui a du mal à renouer avec son style, ce qui est le premier signe avant-coureur d'une...

le 16 juil. 2018

8 j'aime

1

Mélancolie ouvrière
EowynCwper
3

Le non-échec quand il est marqué du sceau de la télé

Si vous entendez dire qu'il y a Cluzet dans ce téléfilm, c'est vrai, mais attention, fiez-vous plutôt à l'affiche car son rôle n'est pas grand. L'œuvre est aussi modeste que son sujet ; Ledoyen porte...

le 25 août 2018

7 j'aime

3