Trois choses qui ressortent immédiatement de cet extraordinaire film de l’un des plus grands réalisateurs de tous les temps : le génial Jack Lemmon, qui mieux que cet acteur incarne l’American Way of Life, le monsieur tout le monde gaffeur et lunaire pour qui la réussite sociale est un véritable vecteur déterminant, prêt à y laisser son intégrité ? Une splendide photographie signée Joseph LaShelle qui a officié quatre fois pour Wilder, mais également sur des œuvres de John Ford, Raoul Walsh ou Preminger. Et en trois, un rythme et une sorte de grand écart permanent entre comédie situationnelle pure et chronique du désespoir, émouvante, mettant en branle les déambulations d’un quidam subissant les humiliations les plus viles de la part de sa hiérarchie.
Il est souvent question d’humiliation dans ce film, celle subie par un homme ordinaire qui a comme but, comme tout un chacun dans une société axée sur la réussite sociale et l’évolution hiérarchique plus que tout, qui n’entrevoit dans cette forme d’aplatissement qu’un moyen d’arriver à ses fins, de prendre du grade. En cela le film est d’une impitoyable cruauté. Pendant tout le déroulement de son intrigue, Baxter ne parvient qu’à duper son voisinage qui par une succession de quiproquos, le considère comme un dragueur impénitent, voyant défiler à son palier de porte un nombre considérable de conquêtes.
En plus d’une fable cruelle sur l’humiliation sexuelle, The Apartment est une satire acide sur les dérives de l’autoritarisme, et l’avilissement qui consiste à tout faire pour gravir les échelons. On est dans une Amérique typiquement basée sur ce concept de l’American Way Of Life, celle de la fin des années 50/début 60, du boom économique et du conditionnement existentiel basé sur l’attrait du consumérisme et de l’élévation par l’ascension hiérarchique.
Sous couvert de comédies romantiques, Billy Wilder a su mieux que quiconque traiter des dérives liées à la performance à tout prix et des errances amoureuses de personnages peu taillés pour leur costume qui tentent de s’élever dans un monde qui va trop vite s'accrochant à des idéaux qu’il tentent de s’approprier maladroitement. Ce qui les rend d’autant plus attachants à nos yeux et qui fait que notre empathie en fait des victimes d’une société implacable. Mais le sont-ils tant que ça victimes ? Ne sont-ils pas le reflet d’un déclin lié à la perte des valeurs induite par la case réussite et élévation sociale avant tout ? Autant de questionnements qui nous taraudent forcément si l’on a un tant soit peu de réflexion sur les causes des dérives du monde. Sujet incroyablement intemporel et universaliste.
Intemporalité, universalisme, et pertinence du traitement, mise en scène énergisante, quiproquos souvent scabreux qui déterminent cette vitalité sous acide qui nous fait prendre conscience que l’on peut rire de faits et situations qui ne prêtent pas à ça, que l’on peut aussi s’émouvoir, passer du rire aux larmes, tout ça à un rythme et une forme de narration qui n’omet jamais de se parer d’un formalisme classieux. Pas de doute on est chez Billy Wilder.