La Habanera
5.6
La Habanera

Film de Douglas Sirk (1937)

Ce film est le dernier que Detlef Sierck tourne pour les studios UFA en 1937. Ayant obtenu un passeport provisoire pour aller tourner "la Habanera" à l'étranger, il en profitera pour tirer, définitivement, sa révérence au régime nazi en devenant Douglas Sirk …

Ce film est surtout le deuxième et dernier film où il met en scène Zarah Leander. Après le succès de "Paramatta", l'actrice suédoise devient une véritable star en Allemagne que ne démentira pas "la Habanera" tourné et sorti la même année.

Plusieurs lectures possibles à ce film.

La première, celle qui a ma préférence, est très romanesque. Lors d'un voyage touristique à Porto Rico en 1927, une jeune femme suédoise et romantique tombe amoureuse de l'île et de son folklore. Elle est subjuguée par la musique, en particulier la Habanera, chanson qui appelle irrésistiblement à la volupté et au plaisir. Quand elle rencontre Don Pedro de Avila, une personnalité de l'ile (le gouverneur ?), c'est le coup de foudre suivi du mariage, contre l'avis de sa tante qui l'accompagne dans le voyage et repart seule. Dix ans plus tard, le paradis s'est transformé en enfer doré où désormais Astrée lutte pied à pied avec son mari macho, jaloux et possessif. Elle voudrait retourner en Suède mais avec son fils, ce que refuse son mari qui voit en lui son héritier. Par ailleurs, l'île paradisiaque s'est peu à peu transformée en une île où une fièvre mortelle circule, que les autorités tentent de nier pour sauvegarder les (bonnes) relations commerciales avec les USA.

Dans cette lecture du film, j'aime savourer diverses scènes comme la métaphore tauromachique du coup de foudre, la fascination d'Astrée pour la nature exubérante de l'île et surtout la belle voix grave et sensuelle de Zarah Leander. Comme on le voit aussi dans "Paramatta", la voix de Zarah Leander passe d'un registre exalté et joyeux à un registre plein de mélancolie. Douglas Sirk a même écrit deux chansons pour Zarah Leander qu'elle chante à son fils, magnifiant l'hiver et la neige au pays.

La deuxième lecture est hélas plus pragmatique et ne peut pas être occultée.

Le tournage ne s'est pas effectué à Porto Rico mais à Tenerife aux Canaries, terres aux mains des franquistes. Sirk y aurait même vu un camp de concentration … De plus, lors des séquences de tauromachie, superbement introduites avec "l'amour est un oiseau rebelle" (Carmen) soit dit en passant, il y eut un grave accident causant la mort d'un toréador. Les images paradisiaques du film ont un envers infernal du décor.

Mais, surtout, le film pourrait suggérer des idées bien nauséabondes où on pourrait imaginer que cette île si paradisiaque où traine cette fièvre mortelle, n'est que le résultat d'une gabegie au plus niveau de l'État entrainant la mort du bon peuple, d'un manque évident d'hygiène généralisé, etc … Le médecin suédois (aryen ?) envoyé en mission dans l'île par un organisme international de contrôle semblerait le seul à pouvoir apporter une solution …

Spoiler : quant au mariage contre-nature d'une aryenne (Astrée) avec un porto-ricain, le film se termine avec une image d'un bon couple entre Astrée et le médecin suédois cité plus haut.

Ceci doit toutefois être tempéré par l'image finale sur le bateau où Astrée se retourne vers l'île qu'elle vient de quitter et disant "je ne regrette rien"

En guise de conclusion, je dirais que "la Habanera" comme "Paramatta" décrivent le destin tragique de deux femmes dont l'une est pleine d'illusions en croyant découvrir un paradis et l'autre s'illusionne en se sacrifiant pour son mari. Les deux films seront l'apprentissage de la réalité ou de la vraie vie, leur permettant d'évoluer vers un autre destin plus positif.

En cela, on n'en finit pas d'entrevoir l'humaniste Sirk de l'après -guerre.


JeanG55
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le 31 mai 2024

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