Exercice difficile que de juger ce film-qui-n'en-est-pas-un - d'autant que tout ou presque à déjà été dis à son sujet – mais je vais tout de même m'y essayer. Pourquoi ? Bah parcque j'ai envie, c'te question. D'autant que j'ai des choses à dire dessus, ça m'arrive pas tout les jours, alors profitez, cette critique sera plus longue et plus chiante que les autres.
Tout d'abord, pour que ce soit bien clair, la Jetée n'est pas un film, contrairement à Perceval et Karadoc, il ne demande pas à être considéré en tant que tel, et ne peut donc pas vraiment être jaugé sur les même critères (d'ailleurs à quand une rubrique roman-photo sur SensCritique ? On passe à côté d’œuvres essentielles...http://www.eighties.fr/parodies-et-hommages/765-roman-billy.html )
Ce postulat posé que reste-il ?Une histoire. Une fable sur le voyage temporel, qui, replacée dans son contexte (les années 60 donc) fait montre d'originalité et, bien que somme toute assez basique (avec le recul, c'est un peu le niveau zéro de l'écriture sur les voyage temporels) tiens plutôt la route sur un plan strictement scénaristique.
Des images,aussi bien sûr. Des photos, pour être exact. Si j'espérais en prendre plein la vue de ce côté-là, force est de constater que la mission n'est qu'a moitié remplie. Certains clichés sont très réussi, et, mis bout-à-bout, parviennent à instaurer une réelle ambiance, mais tous sont loin d'être des modèles de cadrage et d'expressivité, ce qui dessert le résultat final. Et qu'on ne me parle pas de contraintes techniques, Doisneau et Dieuzaide (Toulouse RPZ!) ont bossé à la même époque.
La Jetée, c'est aussi du son. Une voix off tout d'abord , qui n'a pas trop mal vieilli côté intonations mais dont l'écriture témoigne d'un manque d'audace stylistique lénifiant. Une musique également, composée pour l'occasion, parfois un peu envahissante, parfois un peu tire-larme, mais qui, globalement, parvient à apporter à l'ensemble un soupçon de charge émotionnelle, par ailleurs cruellement absent.
Car, La Jetée, c'est avant tout une démarche. Ainsi, si le roman est sympathique – grâce à un sujet intéressant et plutôt bien traité - sans être brillant - la faute à une écriture scolaire et une structure qui parvient à instaurer des longueurs dans une œuvre pourtant courte (je pense notamment à la partie « voyages dans le passé » ) ; si la photographie est tantôt correcte, tantôt frustrante, il ne faut pas oublier que l’œuvre n'est ni un roman ni une expo photo, mais plutôt la symbiose des deux.
Or, c'est peut-être là que le bât blesse, plus encore que dans les quelques travers, somme toute pas si terribles, évoqués plus haut. Et quand on y pense, le pari était impossible à réussir.
En effet, la photo, par nature, est un objet qui doit être regardé pour être apprécié. Parfois, c'est l'impression fugace du premier coup d'oeil qui prime pour en capter l'essence, parfois, c'est au prix d'une longue et minutieuse observation qu'elle se révèle, mais dans tout les cas, tout spectateur doit pouvoir observer un cliché à sa convenance pour en profiter au mieux. C'est évidemment impossible ici, où les nécessités de la narration nous imposent un rythme de défilement, par ailleurs pas toujours judicieux (un certains nombre de clichés sont tout bonnement inutiles). C'est pourtant le prix à payer pour apporter de la vie à une œuvre initialement figée, et c'est un problème qui ne se pose pas dans un film, où les images sont vivantes et d’emblée pensées pour être en mouvement constant.
De plus, le format court-métrage empêche tout développement de l'univers, des personnages, et les images ne comblent absolument pas ce fossé. Une grande place est laissée à l'imagination et le spectateur est libre de répondre tout seul à ses questions. C'est une approche que je trouve en général très plaisante mais pour que ça marche, il faut offrir autre chose, et notamment une implication émotionnelle du spectateur ou un message marquant, et les deux sont absents ici.
Ainsi, si l'exercice de style et l'originalité de l'approche méritent d'être salués, je ne suis pas convaincu de la pertinence de la démarche, qui, au final, m'a empêché de ressentir toute empathie à l'égard du héros et rendu parfois ennuyeuse une histoire pourtant courte et intense.
En bref, c'est cool d'avoir essayé et je comprend tout à fait qu'on puisse trouver un grand talent à Chris Marker, sans doute en a-t-il vraiment (je ne connais pas (encore) le reste de son œuvre) mais pour moi, La Jetée reste coincée le cul entre deux chaises et ne dépasse jamais sa vocation d'origine, celle de proposer une expérience « cinématographique » hors du commun. C'est déjà pas si mal.