Ça a beau être une autobiographie, ce n’est étonnamment pas le film le plus prétentieux de Paolo Sorrentino. Formellement, c’est même son plus simple (ça reste évidemment relatif).
Ici, il fait son Amarcord (Fellini hante le film à plus d’un titre), une succession de scénettes souvent comiques qui s’enchaînent sans vraie intrigue, pour faire le portrait du cadre qui l’a vu grandir et des gens qui l’ont entouré. Avant qu’un événement viennent, au milieu du film, l’entraîner dans une autre direction, comme un rêve qui se rompt.
C’est quelque chose que j’ignorais de la vie de Sorrentino et je dois avouer que ça m’a donné un capital sympathie pour lui et ce qu’il essaye de raconter dans son film.
Mais pour en revenir à la dimension plus “chroniques”, ça fait aussi qu’il y a beaucoup d’air, des petits passages de quelques plans qui, on se demande, n'auraient pas mieux fait d’être laissés sur la table de montage. Ça peut sembler paradoxal de demander ça d’un film qui se balade à travers le cadre d’une jeunesse, mais, pour moi, c’est comme rajouter du ciment entre des briques qui tiennent déjà toutes seules. Les séquences éparses s'enchaînent bien, mais il faut quand même qu’il ajoute des moments entre les moments. Après, j’ai conscience que je demande à Paolo Sorrentino de faire preuve d’économie (!). Quelques mouvements de caméras superflus trahissent aussi le fait qu’il se tient tout juste en laisse.
Ceci dit, ça ne rend pas la séance désagréable ou rebutante pour toute personne qui tolère déjà son style. Au contraire, encore une fois, il renonce ici aux fêtes endiablées, aux décors grandioses et aux effets de montage en faveur de quelque chose plus près du récit et des personnages. Cette réduction de la distance envers son sujet offre à La Main de Dieu une tendresse absente du reste de ses films. On passe en quelque sorte, du point de vue de l’écriture des moments phares, de la chronique mondaine au journal intime.
La première bénéficiaire de cette tendresse est la ville de Naples, construite et filmée à rebours complet de Rome dans La Grande Bellezza. Elle y est montrée comme quelque chose de plus primaire et immuable que la capitale, un endroit au rythme plus lent et une ville qu’on quitte justement pour rejoindre Rome, tandis que ceux qui restent font en sorte que Naples ne change jamais. Le rythme languissant de la ville s'exprime le long du film travers l’amour de la baignade et le refus de trop s’éloigner de l’eau.
Cette tendresse s’étend aussi vers sa famille, dont la cacophonie et l’aspect parfois grotesque ne cache pas, bien au contraire, qu’elle a fait son bonheur. Elle fait que Naples, malgré le farniente, reste pour lui une ville chargée de vie, ou en tout cas de souvenirs, et la galerie de personnages hauts-en-couleur n’a l’air de jamais se terminer.
L’aspect à la fois simple et vibrant de la ville, et peut-être l’origine de l’amour du mélange du sacré et du profane si cher à Sorrentino, s’exprime aussi par la révérence religieuse que tout Naples semble adresser à Diego Maradona, qui est une vraie figure divine. Son arrivée et son succès au club de Naples exprime la bénédiction d’une époque révolue pour Sorrentino, faite de miracles et d’interventions divine.
Mais il est justement intéressant de voir comment cette approche plus “épurée” de ce qui fut un temps sa réalité lui sert à raconter sa rupture avec celle-ci, son désir de la transformer grâce au cinéma. Un jour, la réalité a brusquement changé de nature pour lui et il ne pouvait plus supporter qu’elle soit tout ce qui lui reste. C’est un récit d’apprentissage personnel et une déclaration d’intention envers le reste de sa filmographie.
Au même titre que sa façon de filmer les corps prend ici un autre sens. On connaît son amour des corps féminins, certains diront son côté libidineux. Ici, ça se justifie dans l’intrigue par un désir adolescent prêt à éclater. Mais on connaît aussi sa fascination pour les corps vieillissants. Et le fait qu’il soit si préoccupé par le passage du temps, ce qu’il fait au corps et la distance qu’il creuse vers la jeunesse, prend ici tout son sens, alors qu’il est en train de reconstituer la sienne et de raconter son corps en éveil. Tout ça pour dire que la scène du dépucelage, si elle est authentique, raconte beaucoup de choses sur Sorrentino.
Ces personnages féminins ne sont d’ailleurs jamais vraiment réduits à leur sexualité, aussi exacerbée soit-elle, mais révèlent au cours du film leur propre lot de pertes et de regrets, elles même victimes de la réalité et du temps qui passent, en écho à la propre situation de Sorrentino. Après (sacré/profane, vous vous souvenez), la scène d’ouverture qui annonce tout ça se conclut sur un saint qui met une main au cul. Ça reste du Sorrentino, hein.