Avant 1956, le cinéma a toujours plus ou moins choyé les enfants, ces derniers symbolisant le plus souvent l'innocence et la bonté. Il n'y a guère que Jenny Hager, personnage central du film Le Démon De La Chair, réalisé en 1946 par Edgar G. Ulmer, qui ressent de vives pulsions meurtrières durant son enfance... Les horribles meurtres commis en 1968 par la très jeune Mary Bell (relatés dans l'excellent roman biographique Une Si Jolie Petite Fille que je vous conseille) n'ont pas encore défrayé la chronique lorsque le roman The Bad Seed, rédigé en, 1954 par William March, se voit adapté sur les planches de Broadway. Et c'est suite à la découverte de la pièce que Mervyn LeRoy décide de métamorphoser cette sombre histoire en long-métrage cinématographique.
Petite fille modèle et aux bonnes manières, Rhoda Penmark est considérée tel un ange par son proche entourage. Jolie, alerte et rayonnante du haut de ses 8 ans, personne ne se doute un seul instant qu'elle ne cesse de manipuler son monde pour obtenir ce qu'elle désire. Seul le jardinier Leroy, considéré à tort comme un simple d'esprit, voit clair dans le jeu de la fillette et reste persuadé que Rhoda est la responsable du meurtre d'un garçonnet dont elle jalousait une récompense scolaire...
Derrière ce visage si rassurant, magnifiquement incarné par la petite Patty McCormack (âgée de 10 ans lors du tournage), se dissimule un être absolument diabolique. Redoutable manipulatrice doublée d'une sombre peste capricieuse qui ne supporte en aucun cas d'être contrariée, Rhoda est véritablement effrayante de par son imperturbabilité à commettre les pires crimes qui soient. Un tel personnage était totalement inédit pour les spectateurs de l'époque qui ont porté le film au sommet du box office, alors que la critique spécialisée et bien-pensante n'y voyait qu'un ramassis d'immoralité et de répugnance.
Néanmoins, afin d'éviter de tomber sous le coup de la censure, LeRoy fut contraint d'altérer la finalité du film, différente du roman originel et de la pièce. La Warner ayant exigé un dénouement bien plus moralisateur, les scénaristes engagés inventent un aboutissement superbement photographié qui ne dénature pas tant que ça le propos initial. Malgré cette métamorphose, l’œuvre reste sombre et incarnée, animée par un cast tout bonnement fabuleux dont 3 des principales actrices (Nancy Kelly, Eileen Heckart et Patty McCormack) se retrouveront nommées l'année suivante aux Oscars, aux côtés du directeur de la photographie Harold Rosson.
Le seul petit défaut à mes yeux reste le choix d'avoir conservé le ton théâtral de la pièce. À l'image du Dracula de Tod Browning, le fil narratif reste fidèle à celui que les spectateurs ont pu découvrir à Broadway et se soumet à quelques longueurs dialoguées qui ne sont guère nécessaires dans une œuvre cinématographique. Le reste n'est absolument que du plaisir qui inspirera de nombreux cinéastes les années suivantes et dérogera définitivement la règle à ce qu'un enfant ne symbolise que pureté et innocence au cinéma. Plusieurs remake verront également le jour, dont l'un, que j'aimerais découvrir, où le personnage de la petite et cruelle Rhoda est incarnée par la géniale Mckenna Grace.