Il était à la fois excitant et légèrement inquiétant de voir Pedro Almodóvar s'attaquer à un thriller que l'on aurait plus imaginé adapté par un spécialiste du genre. Et ainsi de découvrir comment le maître espagnol allait se réapproprier le roman de Thierry Jonquet, sa passion pour les corps et les transformations physiques restant évidemment un atout de poids pour cette incroyable descente aux enfers. On comprend à ce titre rapidement ce qui a pu attirer l'ami Pedro dans le projet : ambiguïté des personnages, complexité de l'intrigue, passé douloureux et torturé, vengeance cinglante et perverse...
Plus les minutes passent et plus le réalisateur déroule son impressionnante maîtrise formelle, et ce toujours au service d'un récit hallucinant, où bien malin celui qui saura deviner le fin mot de l'histoire. On est étonné de voir comment l'auteur de « Talons aiguilles » réinvente pratiquement l'œuvre de Jonquet, que ce soit par les couleurs, le cadrage, les situations ; tout est à la fois totalement « Almodóvarien » sans pour autant trahir le matériau de base, ce qui est quand même un sacré exploit. Et quand en plus Antonio Banderas, Elena Anaya et Marisa Paredes livrent d'excellentes prestations (même si ce n'est pas forcément le point fort), on ne peut que s'incliner devant la réussite totale du film, assurément l'un des plus grands de la carrière pourtant déjà bien remplie du cinéaste.