Bonjour tout le monde,
Je suis sorti de la salle de cinéma bouleversé et ému par cette œuvre chef d'œuvre visuel et sonore qui honore le côté " solaire"du genre humain et ce qui suit est volontairement " décousu" et essaie de traduire , par des mots, ce que le chef d'œuvre de Michel Hazanavicius a catalysé en moi depuis la seconde vision de " La plus précieuse des marchandises"............
Je vous propose , pour commencer, une réflexion sur le thème suivant :
Comment montrer la Catastrophe c' est-à-dire la Shoah , sans banaliser cette horreur absolue ?
" La plus précieuse des marchandises" traite, dans un des deux axes de ce film d' animation, de la découverte des réalités de " la solution finale de la question juive" par le troisième Reich Allemand, lors de la Libération de 1945 de l' Europe qui a subi durant trop d' années le joug des nazis. Mais alors une question se pose : Comment filmer la Shoah sans banaliser cette horreur ? Comment témoigner sans déformer ? Comment faire réfléchir ? Comment nourrir la mémoire collective du genre humain pour tirer les leçons du vingtième siècle dans le but d'éviter un retour , toujours possible, des totalitarismes? Vaste problématique.............
“Ce qui a eu lieu est une abomination qu'aucune prière, aucun pardon, aucune expiation, rien de ce que l'homme a le pouvoir de faire ne pourra jamais réparer. ”
( A propos de " La Shoah" , citation de Primo Levi extraite de son livre : " Si c' est un homme ").
Certes, il y a la référence absolue qui dure plus de neuf heures avec uniquement des témoignages d'humains qui ont vécu cela, à savoir "La Shoah" de Claude Lanzmann.
Il y a , également, un documentaire, irréductible de vingt huit minutes, réalisé par Alain Resnais et à jamais intense.
Pour les fictions, nous avons plusieurs films et je vais en évoquer quelques uns, sans être exhaustif, à savoir :
- "La liste de Schindler" de Steven Spielberg, long métrage fort bien réussi, mais qui présente les camps d'extermination nazis de manière assez peu convaincante,(Est-ce possible de montrer visuellement cela autrement que par des vidéos et photographies authentiques?),
- " La vie est belle" de Roberto Benigni en forme de comédie tragique et qui impressionne sans être totalement satisfaisante visuellement.
- " Le fils de Saul" de Laszlo Nemès où le principal protagoniste évolue dans le camp d' extermination d' Auschwitz - Birkenau en cherchant son fils et où tous les plans séquences présentent un fond délibérément flou car montrer l' impensable est inévitablement réducteur pense justement ce scénariste et réalisateur franco - hongrois,
- " La zone d' intérêt" de Jonathan Glazer , où une terrifiante bande sonore couplée à une musique volontairement dissonante nous "montre non visuellement" et fort pertinemment la Shoah ................Ce qui constitue , de mon point de vue, le film de fiction le plus réfléchi et convaincant en liant étroitement la vie de la famille du responsable nazi du camp d' Auschwitz - Birkenau avec ce qui se passait de l' autre côté des murs...........
- Maintenant , lisons Elie Wiesel:
- " J' ai juré de ne jamais me taire quand les êtres humains endurent la souffrance et l'humiliation, où que ce soit.Nous devons toujours prendre parti.La neutralité aide l' oppresseur,jamais la victime.Le silence encourage le persécuteur,jamais le persécuté".
( Citation d' Elie Wiesel, le 10 décembre 1986, à Oslo, lors de son discours pour recevoir son prix Nobel de la Paix ).
Ici et maintenant, nous avons la solution du long métrage d' animation totalement réussie par Michel Hazanavicius dont c' est la première œuvre cinématographique d' animation, après des bons films avec des humains en chair et en os naturellement..........
Imaginez - vous en salle de cinéma, attentif et concentré et puis les lumières diminuent lentement, très lentement ............
Soudain apparaît une décoration , sobre et bleutée , où en son centre est écrit :
La plus précieuse des marchandises
Et puis infiniment lentement ,la caméra accomplit un très lent zoomage qui se rapproche, petit à petit, du titre précédemment cité et doucement la musique d' Alexandre Desplat nourrit , peu à peu , nos oreilles et puis , par magie , la voix du narrateur prononce :
" Il était une fois,,,,,,pauvre bûcheronne et pauvre bûcheron .............Quelle voix intense et prenante ! Celle de la plus belle et mystérieuse voix , celle du génial Jean - Louis Trintignant qui officie une dernière fois..............L' émotion nous habite évidemment............
La suite de mon texte est à lire uniquement si vous avez vu ce long métrage époustouflant et réaliste !
Voici quelques extraits de ce conte :
Pauvre bûcheronne :
- "Sens-tu? Sens-tu? Sens-tu le petit cœur qui bat? Le sens-tu? Le sens-tu? Il bat. Il bat."
Pauvre bûcheron :
-"Non non!" clamait le bonnet du bûcheron s'agitant en tout sens. "Non non!" hurlait sa barbe broussailleuse. "Non non!"
La pauvre bûcheronne, toujours chuchotante, poursuivait:
Pauvre bûcheronne de répliquer:
-Petits et grands, les sans-cœur ont un cœur qui bat dans leur poitrine."
Oui les" sans-cœur ont du coeur !
Qui sont les sans cœur ? Les "marchandises " selon les idées nazis, c ' est à dire des humains juifs évidemment............
Alors on pense à cela:
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent
Ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu’une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été
La fuite monotone et sans hâte du temps
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d’arrêts et de départs
Qui n’en finissent pas de distiller l’espoir
Ils s’appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vishnou
D’autres ne priaient pas, mais qu’importe le ciel
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux
Ils n’arrivaient pas tous à la fin du voyage
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux
Ils essaient d’oublier, étonnés qu’à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenues si bleues
Les Allemands guettaient du haut des miradors
La lune se taisait comme vous vous taisiez
En regardant au loin, en regardant dehors
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers
On me dit à présent que ces mots n’ont plus cours
Qu’il vaut mieux ne chanter que des chansons d’amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire
Et qu’il ne sert à rien de prendre une guitare
Mais qui donc est de taille à pouvoir m’arrêter ?
L’ombre s’est faite humaine, aujourd’hui c’est l’été
Je twisterais les mots s’il fallait les twister
Pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez
Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent".( Paroles et musique de
Jean Ferrat en 1963).
Ajoutons ceci :
"Le 7 décembre 1941, le régime nazi promulgue une série de directives portant sur la sécurité des troupes dans les territoires conquis par le troisième Reich. L’ensemble de ces directives à pour nom de code,
Le document, signé par le maréchal Wilhelm Keitel, ordonne la déportation en Allemagne des ennemis intérieurs du Reich (juifs, tsiganes ,opposants politiques, résistants et autres saboteurs, et cetera .......). Il s’agissait de faire disparaître toutes ces personnes humaines dans le secret le plus absolu, de sorte qu’ils soient totalement effacés. C’était une mesure de terreur.
( Extrait du blog de l'Association pour la Mémoire des Enfants Juifs Déportés des Alpes-Maritimes. Vous y trouverez son actualité, des reportages, des témoignages, auxquels nous vous invitons à contribuer, afin que ces jeunes victimes ne tombent jamais dans l'oubli.).
Regardons ce dense film d' animation une seconde fois ..........
Or donc , pauvre bûcheronne recueille un bébé dans des langes et sur le blanc neigeux dans la forêt près d' une ligne de chemin ferré où, jour et nuit , dans le brouillard et les frimas , passent des trains avec leurs vapeurs noires et grises au - dessus des locomotives, lors de la seconde guerre mondiale, en Pologne occupée par l' horreur nazie, près de Cracovie ................ Katowice.......
La gare d'Oświęcim se trouve à environ deux kilomètres du mémorial d' Auschwitz- Birkenau.
La plus précieuse des marchandises vit et pauvre bûcheronne sauve une toute petite vie et elle aura du mal à convaincre pauvre bûcheron de la garder dans leur modeste chaumière encerclée de beaux arbres .........
Le geste fou du père de ce bébé est en fait un geste pour la vie d' une de ses jumelles car la laisser dans le wagon blindé lui laisse aucune chance de vivre une fois arrivée dans ce camp d" extermination nazi........ Pourquoi ne jette- t- il pas l' autre bébé aussi ? Je ne sais pas .............
Situé à environ soixante dix kilomètres de Cracovie, il s'agissait du principal centre d'extermination de l'histoire dans lequel plus d'un million de personnes ont été tuées.
Il est actuellement possible de visiter deux camps :
Auschwitz I, le camp de concentration d'origine,
et ,
Auschwitz II à savoir Birkenau,
construit par la suite pour servir de camp d'extermination..................
Or donc , pauvre bûcheron donne sa vie pour sauver la petite fille et son épouse qui vont errer pour aller chez un homme bon avec sa chèvre simplement.........
Et les saisons passent ......La petite fille grandit .........L'armée rouge délivre les survivants du camp d' Auschwitz - Birkenau......
Un épilogue longtemps après....... dans une gare ............
Se souvenir toujours, car le silence des pantoufles est aussi inquiétant que le bruit des bottes !
Maintenant,voici quelques moments fortement intenses de ce chef d'œuvre, rude et précieux........Vous savez les images animées génèrent une force particulière et plus marquante, parfois comme ici , face à un film " classique" ....Si tant est que " classique" ait un sens ..........
Or donc les moments fortement intenses, d ' après moi, sont :
-1- le plan séquence d' ouverture sobre et efficace,
-2- la voix inouïe du narrateur en la personne de Jean - Louis Trintignant,
-3- les voix de Grégory Gadebois ( pauvre bûcheron) et Dominique Blanc ( pauvre bûcheronne),
- 4-le peu de couleur dans le première partie,
-5- le rossignol qui , peu à peu , nous fait découvrir les fumées des fours crématoires pour humains entretenus par des humains également,
- 6-les survivants squelettiques lorsque l'armée rouge libère ce qui reste d' humains vivants, au sein du complexe de la mort programmée d' Auschwitz - Birkenau,
-7- le visage épouvantable du père du bébé recueilli par pauvre bûcheronne et son reflet effrayant contre une vitre en lumière blafarde,
-8-les sons mélodieux de la nature,
-9-les sons mécaniques et iniques des trains qui passent , qui repassent sans arrêt avec dans leurs " ventres" blindés les futurs trépassés, brulés ou grilles à mort tel des chiffons ou des brochettes de viande,
-10-la voix de Marie Laforêt qui chante une berceuse en langue yiddish, comme illustration musicale dialectiquement pertinente en parallèle des images animées, lourdes et glaçantes , du camp d" extermination fonctionnant à plein régime ,
-11- les sept plans fixes où nous voyons les visages décharnés, apeurés, hallucinants de vérité, qui nous interpellent silencieusement directement au plus profond de nos âmes, de nos cœurs et de nos cerveaux............. Remarquons ici que sur chacun des sept planches des dessins au fusain sont liés par sept plans noirs de deux secondes entre les sept planches de dessins de visages que tout spectateur ne pourra pas oblitérer de sitôt heureusement,
- 12-des plans séquences qui "dialoguent" avec " Le cri" d' Edvard Munch naturellement.
Une citation :
"......stat rosa pristina nomine,nomina nuda tenemus."( Derniers mots du roman Le Nom de la Rose d' Umberto Eco).
Pourquoi cette citation ici et maintenant
? J'ai pensé à ces mots sans raison apparente......
Dans le silence des siècles passés, il faut écrire partout :
Un cinéphile ami me suggère que ce film soit présenté à des élèves, au collège et au lycée, avec ensuite des débats et éclairages historiques notamment. Je souscris sans aucune réserve à cette nécessité ici et maintenant. Et vous , qu' en pensez - vous ?
Lucidité augmentée par les arts !
Fraternité et Sororité !
Liberté et Égalité!
Laïcité et Féminisme Universaliste vécues au quotidien évidemment !
Bien à vous.
Gérard Michel