Le cinéma français de 2024 n'a pas à rougir de ses sorties (ou plutôt devrais-je dire de ses succès ?). Voilà qu'il trouve encore une occasion, en ces froides journées hivernales, de marquer durablement son spectateur, par le dépôt dans nos salles obscures, de cette petite marchandise signée Michel Hazanavicius.
Le réalisateur des OSS 117 sort une nouvelle de sa zone de confort en proposant, cette fois-ci, un court film d'animation sur une thématique longtemps refoulée par le réalisateur lui-même : la Shoah. Si les longs-métrages sur le sujet pullulent dans le paysage cinématographique, peu sont ceux à avoir réussi sortir du lot et à s'emparer de cette tragédie avec une approche réellement personnelle. Hazanavicius le fait extrêmement bien, en adaptant personnellement le conte de Jean-Claude Grumberg.
Le premier quart de son long-métrage constitue un petit récit intimiste et attendrissant autour d'un trio de personnages : les deux bûcherons et leur protégé. Ce sont des scènes d'une effarante simplicité, mais qui marchent émotionnellement extrêmement bien. Par la délicatesse de son animation, le cinéaste bonifie cette petite famille, dont la relation passe beaucoup par les petits regards et les gestes, révélateurs de leur psyché interne. Les voix des protagonistes, à l'image de celle du narrateur, ont finalement un recourt assez minimaliste dans le film, transparaissant parfois par de simples onomatopées. Les personnages sont tous écrits avec justesse, mention spéciale à cette gueule cassée, qui par ses quelques petites apparitions à l'écran, parvient malgré tout à attirer l'empathie du spectateur.
En parallèle de cette atmosphère à priori bucolique : le train de la mort. A l'instar de la troublante Zone d'intérêt de Jonathan Glazer, le film d'Hazanavicius use habilement du hors champ, si bien que cette première partie ne laissera entrevoir que l'immense fumée noire s'échappant de la cheminée du train.
La grande plus value du film réside aussi dans sa capacité à alterner les points de vues passant d'abord de la bûcheronne au début du long-métrage, au bûcheron au milieu, au père déporté à la toute fin de l'œuvre. A partir de la dernière partie, par un simple trajet d'oiseau de la forêt aux camps, on permute d'une histoire intime à la Mémoire collective. Le petit film familial se transforme en film sur la Shoah, le hors champ s'étiole pour laisser place à l'horreur du système concentrationnaire nazi, la jolie animation perd pied au détriment d'une succession d'images de visages de prisonniers déformés, terrorisés et déshumanisé.
La plus précieuse des marchandises vient ainsi s'ajouter à cette immense fresque cinématographique sur la Shoah. Peut-être que l'œuvre d'Hazanavicius manque à certains égards d'identité et de singularité. Peut-être est-elle un peu trop explicite sur les bords, un peu trop excessive, en bref un peu trop pathétique. Pour ma part, je l'avoue volontiers, je suis véritablement tombé dans le piège. Je me suis laissé guider par la voix OFF explicative de Jean-Louis Trintignant, j'ai été happé par l'omniprésence des musiques mélancoliques d"Alexandre Desplat, quant à la mièvrerie du conte de Jean-Claude Grumberg, celle-ci m'a abattu de plein fouet. En restera une œuvre bouleversante, sorte de tragédie intimiste et collective, précieuse marchandise de fin d'année.