Monumental, éreintant, expérimental et passionnant. Un film beaucoup trop riche, convoquant la tragédie grecque, le naturalisme de Zola et le film de montagne allemand que même Fanck ne surpassera pas. La Roue nous fatigue, nous use durant 4h mécaniques, où les mouvements se répètent, les visages se creusent sous le poids du travail et où seul la gaieté de Norma irradie ces lieux gris. Mais là où passe la lumière, l'ombre surgit et cet Éden, cette Rose du Rail est la source de tous les problèmes de ces hommes superstitieux pensant qu'elle incarne une fatalité vindicative dès lors que son regard les traverse.
Mais si La Roue est si unique, c'est par le virage que le métrage prendra dans sa deuxième partie. Après les terrains boueux et laborieux du monde industriel, le récit s'élève jusqu'aux montagnes alpines. Ici, tout est plus calme. Le gris laisse place au blanc, la boue laisse place à la neige, le drame social laisse place au plus pur des mélodrames. Mélangeant Sisyphe, Œdipe au langage cinématographique le plus archaïque, Gance crée. Il tente mille et une chose, certaines seront reprises par d'autres cinéastes, d'autres tomberont dans l'oubli, mais le réalisateur modèle le cinématographe sans oublier de donner une dimension sentimentale et tragique absolument bouleversante dans ses deux dernières époques.
La gaieté de Norma n'est plus, elle deviendra une ombre errant dans les neiges des Alpes rejetée par chaque homme qu'elle côtoyait et qui la voyait comme l'origine primale de tous ses maux. Mais il n'en sera rien. Cette fatalité n'est pas personnifiée, elle fait juste partie de la Roue du temps qui va et qui vient. Qui en emporte certains avec elle, qui en laisse d'autres. Ce n'est que cachée du regard des autres, que Norma pourra donner et recevoir l'amour sincère, loin des vices et de la corruption, qu'elle n'avait jamais reçu. Et tandis que la Roue l'emporte, la Roue en laisse d'autre derrière elle. Les aimés seront séparés, il faudra attendre un autre passage de la Roue pour espérer se retrouver.