En préambule à ce qui sera son ultime film, Kenji Mizoguchi nous fait entrer dans cet univers qu’il a si souvent abordé tout au long de son immense filmographie, en l’occurrence le monde de la prostitution féminine, sur une musique dissonante et cacophonique tragi-comique. Comme s’il imprimait d’emblée à son œuvre une sorte de désenchantement ironique.
En cinéaste plus marqué par cette désillusion permanente que par un certain moralisme teinté d’espoir qui imprégnera plus l’œuvre d’un Ozu par exemple, Mizoguchi nous propose une intrusion dans une maison de passe. Dressant les portraits croisés de 5 personnages de femmes dans cet univers du bordel, vivotant comme une entreprise confrontée à l’éternelle crise vendue par les élites, il s’immisce dans leur quotidien avec un regard teinté de compassion quant à la fatalité de leur condition.
Sa mise en scène historiquement si posée devient beaucoup plus énergique, soutenue par un montage nerveux que des mouvements de caméra quasi continus viennent dynamiser. On a l’impression que le metteur en scène de la condition féminine qu’il fût, appuie son propos dans une sorte de dernier soubresaut révolté. N’étant pas un cinéaste moraliste par essence, il fait se suffire sa mise en scène sans jamais chercher à nous instruire. C’est un cinéma conditionné par l’imagerie qu’il véhicule. L’évidence se trouve dans le champ.
Cinq personnages, cinq caractères, cinq tranches de vie, cinq espoirs et désillusions, des femmes qu’il fait la majeure partie de son film, sortir de leur condition d’objet de désir pour les montrer dans leur quotidien, confrontées à leurs problèmes personnels, et pour qui il éprouve une sorte d’empathie naturelle en les exposant dans cet univers de l’économie de marché. Le corps comme monnaie d’échange contre rémunération et toutes les méthodes, même les plus légitimes qui nous renvoient cet éternel questionnement, qui est le plus immoral, celui qui paye ou celle qui se vend. Notion que l’on peu aisément associer à toutes les autres formes de marché du système économique.
Le final signera l’avènement de l’éternel continuum avec un clin d’œil qui synthétise une sorte de fatalisme glaçant, montrant cette toute nouvelle « employée » timide qui apprend le métier en regardant ses collègues alpaguer des clients. La fatalité de la condition des travailleuses de la rue de la honte.