"Tomorrow they were to move out. Tomorrow everything would be gone."

Étrange, étrange expérience que ce film narrant la chute d'une famille. L'impression de se trouver face à un spécimen unique est prégnante, et si la naissance tumultueuse de l’œuvre n'est certes pas hors de cause, elle n'explique pas non plus totalement le phénomène. Le fait est qu'on a ici, non seulement un thème, mais aussi une narration qui doivent tout autant, sinon plus, à la littérature qu'au cinéma. En regardant La Splendeur des Amberson, je n'ai pas pensé à Murnau, à Griffith ou que sais-je, j'ai pensé à Maupassant et à Flaubert.

Différence due à une nuance à la fois subtile et essentielle : la technique habituelle d'une narration au cinéma est de donner un but au personnage principal et de consacrer la majorité, si ce n'est la totalité des scènes à décrire les moyens que déploie le personnage pour franchir les obstacles et arriver à ses fins. C'est vrai pour des films hollywoodiens, c'est vrai pour des films indépendants, c'est même vrai pour des trucs tels que "Stalker".

Hors il se trouve que George n'a pas de but. Ah. Les autres personnages en ont un, oui, et notamment sa mère ; mais voilà, sa mère n'est pas au centre du récit, son cas passe au second plan, et par ailleurs George fera tout pour lui barrer la route. Du reste, il dira lui-même qu'il n'a aucune ambition si ce n'est celle de profiter au mieux de la vie. N'ayant pas de véritable fil rouge à suivre, le film se rabat donc sur l'étude de caractère. Comme Citizen Kane, tiens, tiens. Oui, mais dans Citizen Kane il y a le prétexte journalistique qui rend cette approche explicite, il y a un but, un MacGuffin matérialisé par le fameux "Rosebud". Rien de tout cela ici. La narration ressemble beaucoup plus à un "Madame Bovary", par exemple, il y a un tas de scènes qui ne servent à rien d'autre qu'à dessiner le portrait de Georges.

Mais voici venir un paradoxe : ce portrait, bien que plein de nuances, paraît un peu trop grossier par endroits. Des réactions un poil caricaturales, et certaines évolutions du personnage qui sont tout simplement éludés. On sent que le film a été mutilé par des producteurs vraisemblablement peu soucieux des enjeux et de l'approche de Welles.

Les tumultes n'ont donc pas épargnés George. Mais le plus grave est sans doute le saccage de l'autre grand thème du film, à savoir la décadence d'une famille dépassé par son époque, par les innovations technologiques et par la mentalité de leurs concitoyens qui évolue en conséquence lorsqu'ils s'agrippent désespérément à leurs anciennes certitudes. Thème passionnant, et là encore abondamment traité dans la littérature, et qui aurait pu (dû ?) faire des miracles ici. Mais non. On saute. Ils étaient riches et glorieux, et hop là, pof, ils n'ont plus rien, ah les temps sont durs ma bonne dame, que voulez-vous. On en pleurerait.

Sans atteindre le cas proprement édifiant de "Greed", La Splendeur des Amberson reste un formidable gâchis, et d'autant plus que, là où ce qu'il restait du premier m'a foutu une immense claque, il me manque quelque chose chez le second, le fait qu'il ne va pas (et pour cause !) au bout de son ambition le gâte énormément et le sentiment de se retrouver face à une ébauche est bien trop présent, envahissant même.

Je ne suis pas forcément d'avis de donner tous les pouvoirs à l'artiste, mais tout de même, c'est bien dommage pour Welles...
KreepyKat
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le 21 nov. 2013

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KreepyKat

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