En dehors du communisme, point de salut. C’est là toute la thèse du film de coco outré réalisé par Visconti. Pour s’assurer que le message s’inscrive dans les esprits les plus obtus, il a fait le choix d’une voix-off qui tient lieu le rôle du professeur communiste qui assure consciencieusement son magistère d’un ton neutre et paternaliste. Ainsi on ne nous épargnera pas les explications les plus évidentes : on voit bien ce qui se passe, on comprend ce qui arrive, mais il faut quand même nous l’expliquer doctement.
Bon encore s’il n’y avait que cela, passons, après tout ce choix de voix-off a son charme, cela crée effectivement un film hybride, entre documentaire ethnologique et film social. Mais finalement c’est le côté documentaire qui prend le dessus.
Le film dégouline trop de marxisme pour qu’il ne sente pas la grosse ficelle. Les personnages manquent de profondeur, de psychologie. Toutes leurs actions, toutes leurs réactions sont conditionnées par leurs déterminismes sociaux et les personnages esthétisés selon la morale marxiste. Ainsi les grossistes sont évidemment des exploiteurs clichés, qui rient, littéralement, d’être des exploiteurs – bien entendu, ils sont liés (ou plutôt étaient) au fascisme mussolinien, comme le laisse paraître un slogan de propagande écrit sur un mur dans leur boutique, il ne faut jamais oublier de rappeler, quand on est coco, que les fachos ne sont pas du côté du peuple – tandis que les prolo sont représentés commes des êtres héroïques, droits et purs, qui ne tombent ni dans la criminalité ni dans la prostitution, ne font de mal à personne mais sont victimes de la société qui les rejette, du manque de solidarité –car bien entendu les pêcheurs n’ont pas conscience que leur union fera leur force – et de l’esclavage organisé par les grossistes-koulaks.
Et d’ailleurs, parlons de cette prise de conscience. Comment est-elle amenée dans le film ? Elle surgit du fils aîné comme la grâce tombe sur le front des saints. Rien dans son caractère ou son histoire ne l’explique vraiment. En voilà un manque de profondeur!
Autre exemple, au moment de s’embarquer alors que la tempête menace, la voix-off nous explique que Ntoni est pressé par son besoin matériel de gagner de l’argent. On ne saura jamais ce qui se passe alors en lui, sa peur, ses doutes, les pensées contradictoires qui se bousculent dans son esprit et la formation de sa décision à prendre le large malgré la menace. Non, il a besoin d’argent, il embarque, c’est tout.
Par ailleurs, je remarque que leur tentative de devenir leur propre patron, et donc des exploiteurs puisqu’ils engagent des journaliers, est puni par leur ruine. Ils voulaient s’élever ? Les voilà moins que rien. Visconti rejoint ici les commères du village qui voient dans cette tentative de péter plus haut que son cul un châtiment divin, et lui un coup du sort punissant cette tentative individualiste. Hors du communisme, point de salut, et votre hubris vous perdra.
Résultat on ne saura jamais si Visconti aime vraiment ses personnages, s’il aime vraiment ce peuple qu’il représente dans son film, tout semble avoir été fait pour répondre à une ligne idéologique. Même les amourettes sont représentées comme des illustrations d’études sociologiques: regardez, c’est comme ça que les couples se forment dans les villages siciliens chez les pêcheurs prolétaires, vous avez vu hein, je me suis bien documenté! Où est la passion ? Engloutie par le PC italien ?