«Il n'y a pas d'innocents. Les Hommes sont coupables, ils viennent au monde innocents mais ne le reste pas longtemps.» Explique l'inspecteur général de la police au commissaire François Mattei (Bourvil, pour son avant dernier rôle). C'est la grande idée de l'inspecteur, nous précise t-on plus tard : «nous changeons tous, tous les hommes, tous en mal.». Au delà d'être l'idée du personnage, c'est aussi et surtout l'idée du scénariste, Jean-Pierre Melville. Son métrage ne comporte d'ailleurs aucun protagoniste féminin, la raison est simple : le milieu dépeint, celui de la pègre parisienne, est peuplé de solitaires ayant, depuis bien longtemps, fait un trait sur ce bonheur aux allures de grande faiblesse. Les rôles écrits par le cinéaste sont de cette trempe : taiseux, discrets, sans attaches, mélancoliques, méticuleux. Mattei vit avec ses chats, deux scènes nous le rappellent. Corey (Alain Delon), après cinq ans de prison, a perdu la femme qu'il aimait, ses amis l'ont lâché. Jansen (Yves Montand) vit reclus chez lui et délire dans sa miteuse chambre à coucher où lui apparaît des grenouilles, des serpents, des crabes ou un iguane. Tous ces damnés, destinés à réaliser un casse place Vendôme, c'est la ligne narratif annoncée par le titre lui même, issu d'une citation d'un mystique hindouiste : «Layamuni le solitaire dit Sidartagantama le sage dit le Bouddah se saisit d’un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : - Quand les hommes, même s’ils s’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents ; au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le Cercle rouge.»

Traduction : tous les hommes qui se ressemblent sont faits pour se retrouver, dans cette vie ou dans une autre. Le propos est nihiliste, le film aussi, Melville s'attache donc à créer le climat correspondant le plus à son discours : photographie austère, lumière basse, absence de dialogues (sept premières minutes muettes), montage continu, rythme traînard, musique jazzy. Techniquement, c'est réussi, le pessimisme transpire de ce Cercle Rouge à l'ambiance quasi mortuaire. Cette impression de cimetière, le réalisateur l'a connaît bien, elle a toujours inspirée ses thèmes de prédilections où la mort, la solitude et l’échec se sont conjointement croisés tout au long de sa filmographie. Ici c'est du même acabit, sauf qu'à trop vouloir miser sur son ambiance, le metteur en scène perd en intensité scénaristique ce qu'il gagne en ennui. Trop lent, trop long, on a parfois tendance à s'ennuyer et l'impression de voir la narration s'éterniser gagne souvent un spectateur conscient que c'est principalement la forme que Melville a travaillé. En atteste cette interminable séquence de casse d'une bijouterie d'une durée de 25 minutes sans aucun dialogue qui a bien du mal à nous concerner. En dépit de ses défauts, le Cercle rouge bénéficie d'un casting parfait au charisme cinq étoiles : Gian Maria Volonte, Alain Delon, André Bourvil, Yves Montan, la grande, grande classe.

«Et n'oubliez jamais : tous coupables.
- Même les policiers ?
- Tous les hommes.»

De cette succincte représentation de notre société, Jean-Pierre Melville accouche d'une œuvre formellement travaillée qui n'aura pas su proposer un scénario de la même hauteur. Probablement trop funeste, le Cercle rouge est victime de ses nombreuses longueurs mais n'en demeure pas moins un bon polar à la française. A voir ou a revoir.
Nicolas_Chausso
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Films (re)matés en 2013

Créée

le 5 août 2013

Critique lue 476 fois

1 j'aime

1 commentaire

Critique lue 476 fois

1
1

D'autres avis sur Le Cercle rouge

Le Cercle rouge
SanFelice
10

Quand la ville dort

Chaque fois que je regarde ce chef d'œuvre, je suis épaté par son incroyable maîtrise. Tout y est réussi. C'est vraiment le sommet de l'œuvre de Melville (cinéaste peut-être inégal, parfois ennuyeux,...

le 23 mai 2012

77 j'aime

9

Le Cercle rouge
Nushku
9

Cercle rouge & Plymouth Fury bleue

Visuellement, le film est beau et froid. Les tons sont bleutés, la lumière est blafarde, nue, métallique et les blancs brûlés. Malgré le titre, aucune tâche chaude ni lumière dorée ne viendra...

le 13 déc. 2010

49 j'aime

4

Le Cercle rouge
lessthantod
8

Et n'oubliez jamais ... tous coupables !

Le cercle rouge est le douzième et avant dernier film de JP Melville et c'est un film que beaucoup considèrent encore aujourd'hui comme son chef d'œuvre absolu. C'est aussi un film qui a marqué les...

le 15 août 2021

42 j'aime

21

Du même critique

Le Faucon maltais
Nicolas_Chausso
5

Un classique trop classique

Véritable pionnier du film noir Le Faucon Maltais est à plus d'un titre une étape importante dans l'histoire du cinéma. Porté par beaucoup comme un des grands classiques du cinéma Américain, The...

le 10 juin 2013

29 j'aime

2

Cet obscur objet du désir
Nicolas_Chausso
8

Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus

«Cet obscur objet du désir», quel drôle de titre. Son origine vient d'une citation tirée du livre dont il est l'adaptation : «La Femme et le Pantin», de Pierre Louys. Le titre renvoie inévitablement...

le 19 juil. 2013

28 j'aime

1