Le Comte n'est pas bon !
Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise adaptation, il y en a des fidèles et d'autres qui s'éloignent plus ou moins du matériau d'origine. Et la qualité d'un film, issu d'une adaptation...
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le 1 juil. 2024
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Mettons tout de suite les choses au clair : quand j'ai vu que cette adaptation au cinéma du Comte de Monte Cristo était conduite par le duo Alexandre de La Patellière / Mathieu Delaporte, j'ai tout de suite su que le film ne serait pas à la hauteur du roman feuilleton original.
Non pas que je fasse partie de ceux qui considèrent que les grands classiques sont absolument inadaptables, loin de là. Non, c'est juste que, quand on cherche un cinéaste (ou ici des cinéastes) pour adapter une œuvre de la trempe de celle de Dumas, je pense qu'on a mieux à trouver que ceux qui, pour meilleur (et presque seul) fait d'armes, se sont réduits à réaliser le Prénom.
Alors du coup, oui – forcément – et je pense que ça s'impose de le dire d'entrée : jamais cette transposition cinématographique du roman de Dumas ne saura totalement se mettre à la hauteur de l'ouvrage original.
L'écriture expulse presque de manière prévisible toute la toile de fond politique qui donnait au roman sa dimension d'analyse critique de la société française de l'époque. De même, en termes de réalisation, le choix d'une réalisation plutôt sensationnaliste semble dès le départ pleinement assumée, rompant avec l'élégance formelle du matériau de base : scène d'action pour commencer, cuts à gogo et musique pompière, bourre pif et phrases choc, pluies torrentielles et flammes numériques hideuses, le tout lessivé par une photographie hollywoodienne sans âme. Tout ça donne d'entrée à cette fresque dumasienne une identité un peu toc, cherchant son élan dans des effets de manche un brin factices ; identité qui ne quittera jamais vraiment le film tout le long de ses trois heures tant celui-ci abuse régulièrement de travelings, ralentis et autres plans aériens qui, certes, savent parfois apporter l'ampleur tant recherchée, mais qui, à force d'être mobilisés, génère un effet de surenchère qui sied peu à l'élégance au souvenir qu'on peut se faire du roman d'origine.
Donc oui, tenons-nous-le pour dit : sur le plan de la richesse, du style et du sens du geste, ce Comte de Monte-Cristo jure un peu, faisant parfois davantage penser à une reconstitution de parc à thèmes bodybuildée plutôt qu'à une adaptation à la hauteur de l'œuvre de Dumas.
Et pourtant...
Et pourtant, force est de constater que, sur le temps long, la formule révèle ses forces. Et si, bien évidemment, la qualité du matériau de base y aide pour beaucoup, il faut néanmoins reconnaître à ce film de vrais instants de bravoure, aidés en cela par une multitude de paris osés mais néanmoins conscientisés, réfléchis et clairement gagnants.
Première réussite totalement inattendue pour ma part : l'écriture.
Généralement, face à de pareils monuments, on se risque rarement à découper – et encore plus à modifier – quand bien même les différences de format et de média entre la littérature et le cinéma appellent à ce genre de transgression. Or, sur ce coup-ci, La Patellière et Delaporte ont multiplié les audaces pour souvent taper juste.
Dès l'intro : Danglars passe de comptable à capitaine déchu, Fernand est directement anobli et une soeur est carrément inventée à Villefort, histoire de simplifier les jeux de manigance entre les personnages sans pour autant les dénaturer... Et force est de constater que ça marche. L'introduction y gagne clairement en dynamique et en limpidité, tirant pleinement parti du format cinématographique.
Alors certes, je saurais entendre que certains puissent regretter que ces changements se fassent la plupart du temps au détriment de toute la toile historique de fond qui était pourtant un élément central de l'œuvre originale. Il est triste par exemple de constater que l'effervescence italienne qui entourait l'histoire du trésor de l'abbé Faria a été remplacée par celle plus triviale du trésor des Templiers. Cette approche très « Assassin's Creed, » du XIXe siècle, j'avoue que ça a été pour moi quelque chose d'assez difficile à avaler dans un premier temps. Seulement voilà, d'un autre côté, je dois bien avouer qu'en contrepartie, cette mystique templière permet de mobiliser toute une imagerie qui participe à donner un élan et une patte visuelle à l'œuvre que je ne trouve pas impertinentes, loin de là.
Idem, j'imagine aussi que d'autres reprocheront à cette fin d'opter pour quelque chose qui soit finalement moins ambigu et surtout beaucoup plus...
...happy ending.
Malgré tout, une fois de plus, et à bien tout prendre, je ne trouve pas que ce soit tant faire injure à l'œuvre de Dumas que de chercher à l'adapter aux standards de son époque pour en faire une véritable œuvre populaire de son temps.
Et ce serait d'ailleurs sûrement sur cet aspect-là que ce Comte de Monte-Cristo justifierait au mieux ses transgressions. Parce que oui – j'insiste et je reviens donc une fois de plus sur ce point après en avoir déjà parlé lors de la sortie des Trois mousquetaires – pour moi c'est vraiment respecter l'esprit de l'œuvre de Dumas que de chercher à l'insérer dans les codes populaires de son temps. Car, à la base, c'était toute la démarche de Dumas en publiant ses œuvres sous forme de feuilletons ! À l'époque ce format n'avait rien de noble, il n'avait été choisi que pour toucher les masses !
Dès lors, l'usage des codes du blockbuster se retrouvent pleinement légitimés pour, parfois même, apporter un réel élan et un vrai souffle à cet ouvrage pourtant riche et dense.
Le rythme enlevé devient une vraie force sur le long terme, fluidifié par une écriture toujours aussi habile et une musique qui, sur quelques thèmes bien sentis (je pense notamment à celui qui accompagne la relation entre Edmond et Mercedes) joue alors pleinement son rôle de narrateur non-verbal, épaississant de fait le récit sans pour autant trop l'alourdir.
A noter d'ailleurs que, dans ce registre-là, Delaporte et La Patellière ont aussi clairement su tirer parti de quelques belles trouvailles visuelles ; la deuxième grande force de ce film. Car si malheureusement la photographie peinera toujours à donner l'épaisseur et de la texture nécessaires aux lieux et aux gens, j'avoue par contre avoir été parfois agréablement surpris par certains choix de décors, de costumes ou d'effets.
J'évoquais par exemple quelques lignes plus haut ce motif de templier qui aurait pu jurer tant il rappelait à une esthétique à la Assassin's Creed. Pourtant, au bout du compte, je le trouve très cohérent avec cette façon dont la demeure de Monte-Cristo est pensée comme une sorte de manoir Wayne d'une autre époque : mécanismes et secrets d'un côté, mais orientalisme et mystique de l'autre. Au fond, l'identité et l'esprit de l'œuvre originale sont conservés tout en sachant les décliner habilement aux us de son temps. Il y aurait même presque une évidence à faire qu'en 2024, un film Comte de Monte-Cristo emprunte à ce point à Batman, surtout quand on considère à quel point l'homme chauve-souris a lui-même emprunté aux motifs narratifs dumasiens. (Même si bon, j'avoue qu'avec d'autres réalisateurs, on aurait peut-être évité les quelques scènes de bagarres à l'américaine du plus mauvais effet. M'enfin bon, que voulez-vous...)
Mais bon, au final, tout cela a aussi fini par passer, sûrement aussi grâce au troisième gros point fort du film : la distribution. Pourtant je dois bien reconnaître ne pas avoir été du tout convaincu par Pierre Niney dans le rôle de Dantès. Autant pour sa jeunesse naïve ça passe, autant pour sa mue en Monte-Cristo, ça marche moins. Trop minet. Pas assez buriné. Pas assez d'épaisseur dans la voix, le visage ou la posture. Ce n'est pas un problème de performance, mais plus de correspondance. Par contre, en contrepartie, je tire vraiment mon chapeau à Patrick Mille, Laurent Lafitte et surtout à Anaïs Demoustier qui ont su – comme à leurs habitudes – donner toute la subtilité à leurs personnages pour qu'au bout d'un moment, je ne les vois plus en train de les jouer, mais en train de les incarner totalement.
Tout ça donc m'amène au bout du compte à cette conclusion : certes, Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte n'étaient peut-être pas le genre d'hommes à la hauteur de la montagne à gravir, c'est vrai. Mais il n'empêche qu'ils l'ont tenté, qu'ils l'ont fait avec une certaine audace et qu'en conséquence l'ascension n'a pas été vaine, loin de là.
Et moi, en ces temps de vaches maigres au cinéma, je ne vais pas cracher sur des t comme celles-là.
Créée
le 28 juin 2024
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