Influencé par une senscritiqueuse, je me décide à revoir ce film que j'avais connu enfant au temps du cinéma le dimanche soir sur tf1....
J'entre avec délectation dans l'univers théatral, jeu des apparences. Apprécie à sa juste valeur le souci du détail dans la reconstitution matérielle et le somptueux rouge qui règne sur l' ensemble. Les acteurs m' enchantent à commencer par les seconds rôles comme Maurice Hirsch ( extra) Paulette Dubost ( formidable), les gamins....Avant que cette histoire de directeur de théâtre juif contraint de se cacher dans la cave et qui continue de mettre en scène à l'insu de tous à commencer par les intéressés , ne m'embarque à son tour. M'enthousiasme pour de bon.... Je suis conquis , et la caméra virtuose dans l' espace pour magnifier le jeu des acteurs me berce délicieusement...
Et puis peu à peu je découvre ce qui me semble être le coeur du film, ce qui devrait crever les yeux à tous au delà des apparences, un coeur à double fond.
Déclaration d'Amour de François T à Catherine D, l'actrice et la femme. Belle, froide et fragile tout à la fois, magnifiée autant que dévoilée, rien ne lui est épargnée....
Déclaration d 'Amour à l'Art plus fort que tout, plus fort que l'atroce réalité qui cerne les personnages ( repliés prisonniers dans le dédale du theâtre, on s' y perd parfois ) .
L'art comme rempart, comme refuge, l' Art dans la vie , la vie dans l' Art, pour Truffaut les deux se mélangaient intimement, sa vie etait son art et son art etait sa vie....
Il le transpose ici explicitement dans le théâtre, le metteur en scène juif est son double amoureux de cette actrice qui lui échappe, séduite par le puissant et doux Gérard D. Il est gonflé notre François, il nous refait le coup de Jules et Jim, deux hommes, une femme, oui c'est possible, c'est de l' Art messieurs dames....et on voudrait que ça passe comme une lettre à la poste, sans affrontement ni mélodrame! Un peu léger François... La pudeur je veux bien mais quand même!
C''est à ce moment là je crois que j'ai réalisé à quel point ce film était un chef d'oeuvre raté.
Trop d 'Art pas assez de Vie.
Trop fasciné par ses acteurs et sa Muse, François a délaissé son histoire, et réduit l'Histoire au statut de décor.
Alors la reconstitution de Paris dans la guerre qu'on admirait au début finit par nous apparaitre scolaire, l' accumulation d'objets, détails, petits faits historiques fait toc ou illustration, ambiance studio SFP, l'intro et la conclusion en voix off sont dignes d'une dissert' d'hypôkhagneux....Et pour enfoncer le clou cette niaiserie quand Marion reproche à Lucas de vouloir abandonner, "tu veux être envoyé en camp de concentration c'est ça!"
Mais François, balancer cette phrase devant des spectateurs de 1980 ou d'aujourd"hui c'est creuser un fossé entre nous et les personnages , car nous savons tout ce de que eux ignorent. Si le mot pouvait être prononcé à l'époque, il n'avait pas la même charge, ne recouvrait pas la même réalité*.
Réalité, le mot est lâché, rien de plus étranger à François enivré par l' Art. l' Art, toujours l' Art.
Ce film nous déclare non sans orgueil que l' Art est plus important que la réalité, qu'il est plus fort.
Le seul vrai réalisme du film réside dans cette idée, pendant la guerre l' Art devenait l'ultime refuge..
Toute sa grandeur et sa limite .
Et l'on se dit que le petit Truffaut aurait pu être cette jeune couturière juive venue assister à la pièce en oubliant l'étoile portée à la place du coeur. Le temps d'une parenthèse enchantée, comme le film....
*Que pouvait savoir de la réalité des camps de concentration une comédienne vivant à Paris dans les années 40 ..?