Le film que tout le monde attendait bien sûr ! une petite bouffée d’air frais, un jeu ludique sur les totems et tabous du moment, je veux dire les verrous inébranlables (ça n’est même plus que l’on ne peut plus rien dire, c’est qu’on ne peut même plus dire que l’on ne peut plus rien dire ! Avant même d’avoir fini votre protestation un Parisien vous aura ri au nez). On pourra trouver le geste un peu trop timide, mais ce serait, je pense, passer à côté du dispositif extrêmement astucieux du film, ainsi que négliger qu’il s’agit d’abord et avant tout de mise en scène (deux travellings parallèles, d’arrivée, puis de départ, encadrent un point de rencontre narratif), et enfin et surtout, de la continuité d’une oeuvre (depuis Nonfilm !! mais oui ! il s’est toujours agi de la mise en péril du récit, de son impossibilité à s’accomplir sans heurt, que ce soit par des interventions étrangères ou alors carrément par un dynamitage interne).
Est-ce un hasard ? De tous les rôles attendus dans cette mise en abyme (acteurs, réalisateurs, producteur, agent, spectateur), il manque celui… du critique ! Mais qu’a-t-il besoin de figurer dans le film ? Il joue PARFAITEMENT, de là où il est, le rôle qu’il aurait joué dans un film de Dupieux. Il n’y a qu’à les lire ; la critique était prête-à-porter ; déjà rédigée ; d’ailleurs, vous le saviez avant même de la lire : Dupieux est un boomer, un ringard, un réac ! Le reste n’est qu’affaire de mise en forme ; et c’est d’ailleurs cette mise en forme qui apparaît dans le film, qui y a toute sa place, qui s’intègre admirablement au ton de l’ensemble (ne me dites pas que vous avez loupé cette scène ?!! comment ils introduisent leur opprobre, avec intro/développement/conclusion, on rappelle la filmo de Dupieux, ses thèmes, son style, en vrai professionnel de la profession que l’on est !! On soigne les courbes, on peaufine les angles… On s’auto-persuade que l’on n’est pas en guerre, en croyant que l’étirement de l’argumentation et les effets d’objectivité passeront pour ce qu’ils ne sont pas…).
Sinon on observe, quoi qu’en disent les curés, une admirable évolution chez Dupieux : le fil rouge de toute son œuvre se politise de plus en plus, il y a maintenant une véritable esquisse de ce qui vient à ce point perturber, systématiquement, le bon déroulé du récit. Je situerais le point d’infléchissement depuis Incroyable mais vrai. Mais c’est un saut qualitatif. Et d’abord Dupieux est un embrouilleur ! Mais bon, au moins depuis Yannick, les choses sont hors de doutes. “L’élément perturbateur” est en fait une protestation générale, des droits fondamentaux à revendiquer, vis-à-vis d’une forme de plus en plus absconse et impossible en son principe ; impossible et inadmissible. A ceux qui croiraient que Dupieux est un coupeur de cheveux en quatre qui se complique la vie scénaristique en mélangeant et redistribuant toujours plus les cartes comme au bonneteau : c’est faux bien sûr, Quentin Dupieux est au fond un homme banal, simple, un homme comme vous et moi, et donc, tout naturellement, comme vous et moi, comme n’importe qui : il en a marre !!!