Nous ne sommes pas des agneaux
Le Loup de Wall Street est fait comme un grand film, comme une de ces histoires sur un destin Américain dont seul Hollywood a le secret. Le Loup de Wall Street c'est un grand Scorsese et c'est aussi le plaisir de voir à l'écran des acteurs diablement bons se déchaîner pour être à la hauteur des attentes du metteur en scène. Le Loup de Wall Street est un grand film.
Le destin de Jordan Belfort donc, qui comme on peut l'imaginer assez facilement, est une crapule finie. Ce jeune blanc bec sans le sou arrive à Wall Street dans l'idée de devenir millionnaire. Et il va le devenir en contournant les règles du jeu, sans pour autant éviter de se faire prendre (l'appétit du gain sans aucun doute est sa perte). Pourtant, loin de nous montrer, une fois de plus, que oui le monde de la finance est truffé de salopards dans le genre de Belfort et de nous faire une morale bien mal avisée, Martin Scorsese prend le pari de simplement décrire une période faste de l'Amérique qui amena la crise de 1987 et toutes celles qui ont suivi. Oui, Wall Street c'est le mal. Seulement, voilà nous vivons dans un monde dirigé par ce mal et Jordan Belfort n'est rien de plus qu'un blaireau qui se fait avoir à la fin. Et oui, ces salopards s'en tirent toujours bien (il suffit de voir ce qui est arrivé aux architectes de la destruction de l'économie de 2007 pour le comprendre – The Inside Job, un must see).
On suivra donc pendant presque trois heures les frasques de ce dégénéré entre argent facile, putes, drogues, drogues, putes et fêtes démesurées. Certaines sont assez comiques et même parfois hilarantes – on pense notamment à la scène des Lemmon – et Leonardo DiCaprio se prend sérieusement au jeu. La mise en scène est tapageuse mais ne cède pas à certaines modes absurdes du moment. Trois heures pour tout cela me dira-t-on, ça peut paraître long pourtant tout passe très vite comme si finalement les trips du héros devenaient ceux du spectateur.
Et c'est là que la simple comédie un peu longuette devient un grand film. Nous sommes tous des loups de Wall Street. On peut se cacher derrière une morale, derrière une certaine éthique, en fin de compte, ce quidam réalise ce à quoi chacun aspire en jouant une grille à Euromillions. Il refuse le monde tel qu'il est et s'en créé un, où les seules règles sont les siennes. Le Loups de Wall Street ne le juge pas, non. Il ne fait que mettre une image sur nos fantasmes. A l'Amérique bien pensante qui voit en ces codes de la Finance une certaine grandeur, Scorsese fait un grand doigt d'honneur et sans pour autant approuver le comportement du protagoniste principal, nous fait prendre conscience que oui, nous ne sommes pas des agneaux.
Alors bien entendu, personne ne rêve de devenir un déchet et si on rit lorsque Leonardo DiCaprio est défoncé c'est surtout parce qu'il nous fait pitié. Mais en un sens, il n'est que l'image déformée de nos rêves les plus fous. Et en sortant de la projection, on rit jaune. Car oui, on se moque de nous et la comédie un brin tapageuse se transforme bel et bien en chef-d'œuvre.
Quant à la comparaison avec Margin Call, elle n'a vraiment pas lieu d'être. La technique n'est nullement mise en cause ici, on s'en contrefout. Même Jordan le dit, lorsqu'il commence à expliquer ce qu'est une IPO. Margin Call nous démontre que les mathématiques ne sont pas parfaites et que dans la finance tout particulièrement, il ne s'agit avant tout que de probabilités et de pari sur l'avenir. Les stratégies sont bien réelles (ou alors Warren Buffet est vraiment un sacré veinard) et la politique est maintenant guidée par ces flux d'argent virtuel. Ici, on parle avant tout d'un monde inaccessible et finalement pas si rose que ça. Et on parle surtout de nous, pauvres imbéciles.