Eh ! Vous avez déjà essayé de faire de la mayonnaise ?
Si oui, ça vous est forcément arrivé cette situation où, malgré le fait que vous ayez réuni tous les bons ingrédients tout en accomplissant les bons gestes, ça foire. C'est l'échec cuisant. La mayonnaise ne monte pas.
Vous êtes pourtant convaincu d'avoir bien fait les choses bien comme il faut mais le constat reste sans appel : pas de mayonnaise. Juste une vieille mixture infâme.
Alors oui, j'avoue qu'il ne s'agit peut-être pas là de la meilleure métaphore qui soit mais moi, quand je me suis retrouvé face à ce Robot sauvage, c'est la première qui m'est venue à l'esprit et elle ne m'a jamais quitté jusqu'au moment de la rédaction de cette critique. Ce Robot sauvage, de bout en bout, c'est une tentative de mayonnaise qui, malgré l'acharnement des auteurs pour la faire lever, reste désespérément à l'état de mixture dégueulasse.
Alors après – bien sûr – pour être allé voir ce film après presque un mois d'exploitation – il se trouve que j'ai bien évidemment eu tout le temps de constater à quel point ils ont été nombreux et nombreuses celles et ceux qui ont vu de la mayonnaise là où moi je n'ai vu que de la bouillie infame, donc autant le faire dès le départ histoire de gagner du temps : j'invoque tout de suite ma carte magique « tout ça c'est subjectif / le goût et les couleurs, toussa toussa », comme ça on va pouvoir directement filer au cœur de mon propos. Parce que moi je veux bien qu'on me dise que ce Robot sauvage soit un dessin animé poétique, pétri de belles références et qui va droit au cœur qu'il n'empêche qu'à mon sens, on peut néanmoins acter ça : entre le Dragons premier du nom des mêmes auteurs et ce Robot sauvage, il y a quand même un monde. Et autant je vois parfaitement le liant qui a permis au premier de prendre toute sa texture épique et poétique, autant je recherche encore désespérément celui qui serait au cœur du second. Et d'ailleurs – petite adresse personnelle aux thuriféraires de ce drôle de robot – si vous avez des pistes à ce sujet, je suis preneur, parce qu'en partant à la recherche de réponses dans vos proses, j'avoue en être revenu pour le moins bredouille.
Parce que – d'accord – j'accepte pleinement qu'on dise de ce Robot sauvage qu'il soit un film techniquement réussi, garni de jolis rendus visuels, inscrivant son récit dans la grande tradition des vieux contes et ne manquant pas de se risquer à un mariage des genres audacieux basé sur la confrontation par entre deux univers antagonistes. Sur tous ces points, je suis d'accord. Je ne conteste pas la présence des ingrédients. Ce sont d'ailleurs clairement les mêmes que ceux de Dragons ; raison pour laquelle je me permets d'ailleurs le rapprochement entre les deux films ; rapprochement qu'il me semble par ailleurs nécessaire de poursuivre afin de comprendre ce qui, pour moi, a cloché tout au long de mon visionnage de ce fameux Robot sauvage.
Un petit rappel semble donc s'imposer à nous concernant Dragons. Qu'était ce film et sur quoi reposait sa force ?
Dragons premier du nom, c'était deja l'histoire d'une confrontation entre deux monde – celle séculaire entre les Vikings et Dragons – et qui se retrouvait brusquement mise à mal par la rencontre accidentelle entre deux marginaux des deux communautés. Et c'est par la rencontre de ces mis-à-la-marge, de leur compréhension mutuelle, puis de la mise en commun de ces singularités qu'à eux deux ils vont parvenir à faire de leur association antinomique une association complémentaire à partir de laquelle ils bâtiront un nouveau modèle social sur lequel reposera leur paix. Ainsi la logique de confrontation laissera-t-elle sa place à la logique de conciliation ; la valorisation du virilisme par la guerre cèdera sa place à la valorisation de l'ingéniosité. Dit autrement, c'est la recherche d'une solution commune qui vient remplacer l'idée d'élimination du problème par l'élimination d'un tiers. Qu'on trouve ça subtil ou pas, au moins ça a le mérite de la cohérence et surtout ça a le mérite de jouer son rôle de conte. Par son récit, le conte révèle la morale qu'il entend livrer sur le monde : il oppose une situation troublée à une situation apaisée, posant sa solution comme le trait d'union entre l'un et l'autre : la conjugaison des antagonismes plutôt que leur opposition.
Pour moi, ce n'est pas ça ce qui permet d'expliquer que Dragons premier du nom ait su m'emporter car ce serait oublier les rôles essentiels joués par la composition riche et singulière de univers et surtout cette mise-en-scène savamment travaillée sans laquelle cette épopée n'aurait jamais eu d'élan. Ce n'est pas la seule cohérence du conte qui a su donner à Dragons toute sa force, c'est la cohérence de l'ensemble de l'ouvrage qui, à mes yeux, avait su faire à l'époque la différence.
Par contre, ce qui m'a tout de suite choqué face à ce Robot sauvage, c'est d'abord de constater comment chaque figure symbolique mobilisée l'est toujours à contre-emploi. Parce que bon, le projet manifeste du projet c'était ici d'opposer l'artificiel au naturel ; le civilisé au sauvage ; l'aseptisé à l'incarné. Si ce qu'on entendait faire c'était de suivre la structure traditionnelle d'un conte, la logique aurait voulu que l'élément civilisé et aseptisé, en étant brutalement plongé dans le monde sauvage, se retrouve immédiatement et violemment rappelé à la réalité matérielle de son être ; à l'emprunte de l'existence dans sa chair lui qui, ayant toujours vécu dans le confort, a pu se construire une représentation purement idéaliste des choses et du vivant. Mais là, rien de tout ça. Roz a beau être brusquement plongée hors de son milieu clinique et contrôlé que les questions de sa maintenance et de son adaptation ne sont jamais posées. Roz est indestructible, dispose de ressources infinies et est manifestement inoxydable. Elle pourrait donc très bien survivre tranquillou billou sans l'aide de personne et si elle se refuse à rentrer c'est uniquement parce qu'elle a été programmée pour aider et que son arrivée brutale dans ce monde sauvage ne s'est pas faite sans fracas.
Dans le Robot sauvage, la situation initiale est totalement disproportionnée entre les deux camps censés s'opposer et apprendre à s'enrichir l'un de l'autre. Dans cette opposition, c'est le monde sauvage qui est divisé, rongé par la méfiance voire par la haine à l'égard de l'autre, et c'est le bon robot qui vient là pour aider tout le monde. Première bizarrerie.
Mais ça ne s'arrête pas là. Autre incongruité : le monde sauvage selon Chris Sanders n'a rien de sauvage. Pour un monde où chacun vit pour sa pomme loin des autres, ça parle beaucoup et souvent. On s'apostrophe tout le temps, on commente tout, on maniérise tout à tout va. Toute cette faune a clairement des problématiques de cours de récréation et ne cesse de les formuler à la façon de jeunes cadres dynamiques de start-up. Et si je peux entendre que la raison à tout ça c'est de chercher à parler (maladroitement) aux enfants, il n'empêche que ça dénote totalement avec l'intention annoncée.
A dire vrai, plus qu'une volonté de parler aux jeunes, je crois surtout que le péché originel tient surtout au fait d'avoir cherché à prélever d'un peu partout des formules qui marchent mais sans vraiment prendre la peine de questionner la pertinence de tels emprunts par rapport au postulat posé. Ainsi le renard Escobar (?) est-il un pâle copier-coller du Nick de Zootopie, sans s'interroger un seul instant si cette figure d'entourloupeur métropolitain avait sa place dans un monde qu'on veut et qu'on dit sauvage. Même chose pour Roz qui se révèle très vite n'être qu'une hybridation sans saveur d'un B-Max déjà peu reluisant et surtout d'un Géant de fer et d'un Wall-E dont on n'a manifestement pas cherché à comprendre les raisons de leur caractérisation. On les reprend quasiment tel quel même s'il n'est jamais question ici de rapport à la création d'un proche disparu, de tensions liées à une guerre en suspend, ou bien de civilisation en pleine agonie par faute d'une déconnexion à la nature. Notez bien que cette histoire de robot sauvage aurait pu s'y prêter, mais donc non : de tout cela, le film passera désespérément à côté.
Dès lors, rien d'étonnant à ce que le déroulement de l'intrigue se retrouve aussi évidé de sens.
Electric Dynamics a perdu un de ses modèles en pleine nature, soit. Mais pourquoi batailler à ce point pour pouvoir le récupérer ? Pour en expurger les données nous dit-on, mais pour quelle raison ? De quelle type d'entreprise s'agit-il ? Au service de quel monde ? Nourrissant quels intérêts ? Et ces questions n'ont rien d'anodines au regard du peu que le film nous montre de son monde civilisé. Parce qu'au regard de cette utopie futuriste qu'on nous montre à la toute fin – semblant assumer et bien vivre le fait d'être coupé de la nature sauvage – on serait en droit de se demander ce qui pourrait motiver une entreprise à se montrer si malfaisante et diabolique... À part pour servir le scénario...
...Parce que bon, heureusement que dans ce film il y a cette entreprise ans entreprise prête à raser monts et forêts tout en sacrifiant la moitié d'une armée de robots de combat dans le seul but de récupérer un seul modèle défectueux de robot maturateur d'orange (oui oui, drôle de civilisation qui débauche une telle technologie pour un taf qui pourrait être assuré par un papy équipé d'un transat et d'une bouteille de pastis), car sinon qu'est-ce qui pourrait justifier que la forêt prenne fait et cause pour ce foutu robot encore plus égocentré qu'un millénial ?
Bah oui... Parce qu'elle est un peu là, la blague. À bien tout prendre, sans cette firme génocidaire digne du pire des Avatar, rien ne saurait justifier que Roz reste en forêt. Pourquoi reste-t-elle d'ailleurs ? A peine débarquée qu'elle bute sur une famille d'oies sauvages ! OK, c'est un accident, mais puisqu'il est manifeste que ta place n'est pas là, Roz, tire-toi. Mais non, Roz est programmée pour aider, alors elle doit aider ! Elle en fait une question de principe ! Parce que, si elle part, qui aidera cet oison survivant à retrouver le chemin de la migration ? (Suggestion : d'autres oiseaux du monde sauvage ?) Non ! Il n'y a qu'elle qui peut le faire ! Et elle le fera ! Et qu'importe s'il faut qu'elle expose toute la forêt à des représailles ! Et qu'importe si elle va devoir forcer toute une faune à se fédérer pour lui permettre de rester là où n'est pas sa place ! ...Non mais c'est fou cette histoire ! Tout pourrait être réglé en deux coups de cuillères à pot si Roz acceptait de se barrer tout de suite ! Parce que bon, si sa motivation ce n'est vraiment qu'aider qu'elle retourne là où elle est utile ! Là où des oranges ont besoin d'elles pour être cueillies au bon moment de maturation ! Pourquoi s'entêter à rester ? En vrai, si on y regarde bien, Roz ne reste que pour soigner son ego blessé ! On lui a dit qu'elle était faite pour aider alors elle aidera, point ! Et qu'importe ce que veulent les gens ou bien de ce qu'ils ont besoin !
Le pire c'est qu'il va falloir attendre une bataille dantesque durant laquelle la moitié de la forêt y passera pour qu'enfin Roz accepte de faire ce qu'elle aurait pu décider de faire depuis le début !
Et en fait c'est vraiment ça qui est terrible avec ce film ! Le seul moyen de se laisser porter par lui est de ne surtout pas réfléchir, de ne surtout pas s'impliquer, d'accepter par principe la répartition des rôles entre gentils et méchants, ce qui est l'exact inverse de la philosophie de Dragons premier du nom ; voire même l'exact inverse du principe même d'un conte initiatique !
Avec le Robot sauvage, on n'apprend rien de son périple. Ou plutôt non, les sauvages apprennent les bienfaits de la civilisation grâce à leur héros venu les élever ; lequel n'y gagnera dans cette histoire que le pouvoir de l'amour.
(Et pour ceux qui n'ont pas vu le film, je ne rigole pas : c'est littéralement ÇA.)
Alors oui, d'accord, le Robot sauvage est un film techniquement joli, soit... Mais est-ce que cette technique est suffisante si elle n'est au final mise qu'au service d'un simple agrégat foutraque d'idées pompées ailleurs mais auxquelles on n'est pas parvenu à apporter la moindre cohérence ?
D'accord aussi pour reconnaître que ce film respecte également les standards des grands contes traditionnels. Mais là encore : est-ce qu'on s'en satisfait quand ledit conte aboutit à cette morale saugrenue selon laquelle ce serait une bonne chose pour les sauvages que, de temps en temps, des races supérieures viennent leur apporter les bienfaits de la civilisation, quand bien même à la fin chacun se devra de vivre avec les siens, séparés des autres ?
Non mais merde quoi... Comme quoi les moustachus ont vraiment raison dans cette affaire. Il suffit juste de belles images et d'un fond de l'air favorable pour que les pires conneries et les pires saloperies puissent être gobées sans le moindre soupçon et avec le sourire.
Le pire c'est que, quand on y regarde bien, ce n'est pas la première fois que cette équipe a produit ce genre de mélasse douteuse. Il suffit de voir ce vers quoi les deuxième et surtout troisième épisodes de la trilogie Dragons a conduit pour comprendre que la mayonnaise a déjà tourné depuis un certain moment dans ce secteur-ci de DreamWorks.
Mais bon, je dis ça, moi, au fond, je ne dis rien. Les goûts et les couleurs toussa toussa, j'entends bien... Alors si certains voient dans cette mélasse-là la plus onctueuse des mayonnaises, grand bien leur fasse...
...Mais si un de ses quatre matins, ils découvrent que ce qu'ils ont dans leur assiette a viré au brun, ce ne sera pas auprès de moi qu'il faudra venir se plaindre...