En plus du fait d’être réalisé par Michael Curtiz, réalisateur d’origine hongroise, arrivé aux Etats-Unis dans les années 20, et qui possède une filmographie astronomique, il s’agit d’une adaptation de l’écrivain James M. Cain. Moins célèbre qu’un Raymond Chandler ou un Dashiell Hammett, Cain a été à plusieurs reprises adapté au cinéma, avec des titres incontournables ayant fait les beaux jours du film-noir, notamment le Facteur Sonne Toujours Deux Fois de Tay Garnett, dont Bob Rafelson fît un remake, Stand Up And Fight de W.S. Van Dyke et surtout le chef d’œuvre de Billy Wilder, Double Indemnity, Assurance sur la Mort en français, sur un script de Chandler et de Wilder lui-même. A noter qu’il a même été adapté en France par Pierre Chenal dans un film avec Michel Simon et Fernand Gravey, Le Dernier Tournant.
Dès la fin d’un générique plutôt mesuré, signé Max Steiner, on entre en deux scènes dans la dramaturgie, avec notamment la tentative de suicide de l’héroïne interprétée par une bouleversante Joan Crawford qui porte dans son regard toute la détresse du personnage qu’elle va admirablement interpréter. Puis un coup de feu, caméra montrant la victime, un homme qui s’écroule après avoir prononcé le prénom Midred.
La construction narrative est tenue par cette intro parfaitement réussie, un esthétisme tellement caractéristique du film-noir usant des tons clairs-obscurs, d’une utilisation précise du cadrage pour accentuer la dramaturgie et des fameux jeux d’ombres qui apparaissent comme des spectres curieux. Les évidences montrées à l’écran sont le fer de lance d’un grand jeu de dupes aux multiples incertitudes et aux fausses évidences dont Curtiz se délecte pour mieux nous perdre. La vérité étant beaucoup plus complexe que se semble prétendre cette splendide intro.
Dès lors, on entre dans le vif du sujet, et on assiste avec surprise, non pas aux élucubrations d’une femme-fatale, veuve noire aux desseins sombres, mais à un magnifique portrait de femme porté par une Joan Crawford magnétique et touchante. En à peine un quart d’heure on a abordé deux thématiques en trompe l’œil qui n’auront de cesse de se croiser et se percuter pour donner un admirable mélange des genres.
Derrière l’aspect souvent sarcastique de ce film qui traite des sujets de la réussite sociale et des échecs sentimentaux, il y a une vraie critique de l’American Way Of Life et de ses apparences de surface, dans les rapports que cette femme qui n’a de fatal qu’un destin tragique,
dont le décès prématuré de sa plus jeune fille
, est en permanence trahie, même par sa propre chair et se bat contre tout les aspects extérieurs dans une sorte d’intériorité qui n’a d’égal que le jeu remarquable d’une actrice au somment de son art.