En termes de western chez Anthony Mann, "les affameurs" (1952) se situe entre "Winchester 73" (1950) et "l'homme de la plaine" (1955). Parmi les similitudes, ils présentent tous les trois un point commun, c'est la présence de James Stewart.
Le scénario raconte le double convoyage de plusieurs familles de pionniers partant du Missouri pour aller s'établir dans l'Oregon en passant par Portland. Entre les deux convoyages, la ville de Portland s'est transformée pour cause de ruée vers l'or.
Ceci constitue le background et la trame du western. Ce qui rend le film très intéressant se situe plutôt au niveau des personnages.
Glyn, chargé de conduire et protéger le convoi, rencontre et sauve de la pendaison un homme, Cole, au début du voyage. En discutant, Glyn et Cole découvrent qu'ils se connaissent de réputation et qu'ils ont tous deux un passé trouble. Glyn et Cole s'efforcent d'oublier ce passé et de passer à autre chose. Pour Glyn, son avenir semble tracé car il veut s'intégrer dans la colonie. Par contre, rapidement, on se rend compte que Cole préfère la vie des saloons et de la ville à l'affût d'opportunités.
En fait, je ne crois pas me tromper beaucoup en disant que Glyn et Cole sont les deux faces d'un même personnage. Il y a d'ailleurs beaucoup de points communs entre les deux personnages. Ils s'entraident et s'apprécient. Dans la traque contre les indiens dans la nuit, Cole joue même les anges gardiens de Glyn... Et lorsque les gars embauchés au prix fort à Portland s'attaquent à Glyn, Cole est encore là pour lui sauver la mise.
Mais lorsque le côté sombre de l'homme, Cole, semblera l'emporter, le côté clair, Glyn, de rage s'écriera : on se reverra, tu me reverras, crois-moi. De fait, le spectateur verra que Glyn ne cessera, invisible mais très présent, de coller aux basques de Cole. Glyn finira par l'emporter au cours d'une scène de purification - dans l'eau, par l'eau - où le côté sombre va disparaitre entrainant, de facto, l'aveu du passé trouble que Glyn cachait soigneusement et la rédemption aux yeux de la communauté prête à le recevoir.
La doublette Cole/Glyn est un point très remarquable de ce western.
Evidemment tout le monde devinera que Glyn, c'est justement James Stewart qu'on ne présente plus, qui, à lui tout seul, crée une ambiance particulière. Comme souvent, James Stewart, dans sa façon d'être, son regard, sa relation à autrui ne peuvent s'empêcher de laisser filtrer une vulnérabilité. Ici, il a tourné la page et le rappel de son passé peu reluisant, qu'il cache obstinément, l'obsède et ne parvient pas à s'en débarrasser. Sa relation avec la communauté et en particulier avec les deux filles du chef du groupe s'en ressent.
Cole, c'est Arthur Kennedy, le bandit sympathique, un peu baratineur, un peu dragueur, un peu loyal jusqu'à ce que ses vieux démons, d'appât du gain facile, le reprennent. Dans ce film, dû à cette proximité avec le personnage de James Stewart, son rôle est complexe et au final attachant.
Et puis parlons aussi du boulot d'Anthony Mann qui fait que ce western est splendidement mis en scène dans une belle région en Oregon avec, en décors naturels, la splendide vallée du fleuve Columbia qui borde Portland et le Mont Hood enneigé qu'on voit constamment à l'arrière plan.
En bon faiseur de films et de westerns en particulier, Anthony Mann nous ménage de belles scènes de mouvements de chariots en montagne ou en train de traverser des rivières.
En conclusion, les affameurs est un western remarquable notamment par les rôles antagonistes et jumeaux de James Stewart et Arthur Kennedy.