Les Contes de Terremer
6.2
Les Contes de Terremer

Long-métrage d'animation de Gorō Miyazaki (2006)

Ça m’ennuie de dire cela mais Les Contes de Terremer (2006) est un film d’animation pénible à regarder et je vais expliquer pourquoi. Adaptation du Cycle de Terremer (1977) d’Ursula K. Le Guin, celui-ci devait originairement être réalisé par Hayao Miyazaki, mais comme le maître souhaitait prendre sa retraite à l’époque, c’est à son fils ainé Goro que Toshio Suzuki, le producteur du Studio Ghibli, confia la réalisation du projet. Le problème, c’est que Goro n’a rien d’un metteur en scène ou d’un conteur à la base ; paysagiste et architecte de formation, il n’eut de lien avec l’animation que lorsqu’il prit la direction du Musée Ghibli de Mitaka en 2001 et, par la même occasion, entra dans le studio d’enregistrement de son père. Et même s’il rêvait de se lancer dans l’animation (selon ses dires), au vu du palmarès de son paternel, ce projet était un cadeau empoisonné. Car même si les dessins sont beaux et les jeux de lumière superbes, le film en soi est désespérément vide. Sérieusement, où est la passion, là-dedans ?

Pour vous la faire courte, l’histoire se déroule à l’époque médiévale, à Terremer, un endroit imaginaire où humains et dragons coexistaient en paix avant que l’Homme ne trouble l’équilibre du monde par sa cupidité. Dans un château, un roi est tué par son fils Arren qui s’exile. Sur sa route, ce dernier fait la connaissance d’un grand magicien qui se fait appeler Épervier et ensemble, ils tenteront de rétablir la paix/vaincre le Mal. Rien que par ce résumé, vous devriez déjà avoir une petite idée de ce qu’un tel projet peut donner dans les mains d’une personne qui n’a pas la maturité ni les compétences suffisantes pour y donner vie : un film gnangnan et manichéen, pile ce que le grand Miyazaki s’est toujours abstenu de faire. En vrai, un film de Hayao Miyazaki ne se positionne jamais « pour » ou « contre » quelque-chose, il célèbre l’Homme dans sa complexité ainsi que la nature afin que le spectateur s’ouvre de lui-même à l’environnement et à ce qu’il peut lui apporter en faisant l’effort de le préserver. C’est mille fois plus subtile que le discours niveau Babar auquel on a droit ici.

Puis je ne sais pas qui de K. Le Guin ou de Goro il faut blâmer pour ça mais l’histoire en elle-même ne casse pas des briques. C’est du déjà-vu. A vrai dire, la tournure du film me rappelle une autre adaptation d’un cycle de fantasy sortie la même année et que j’ai vu plusieurs fois, Eragon. Mais étant donné que Christopher Paolini a écrit ses livres des années après K. Le Guin, j’aurais tendance à croire qu’il s’en serait inspiré et pas l’inverse. Donc, à ce moment-là, l’œuvre de K. Le Guin serait à considérer comme une œuvre qui aurait initié des archétypes au sein du cinéma fantasy et, en cela, importante ; sauf que Goro ne l’a pas exploité de manière que l’on se rende compte de sa richesse.

Je veux dire, on a affaire à un héros tout ce qu’il y a de plus creux. Rien ne caractérise Arren, hormis le fait qu’il traverse une crise existentielle et ait l’air de retenir une vilaine diarrhée chaque fois qu’il est sur le point de s’énerver. Je le perçois comme un sous-Ashitaka (réf. Princesse Mononoké, 1997) dans sa manière de lutter contre ses démons. On a envie de lui coller des baffes. Par ailleurs, son patricide n’a quasiment aucune incidence dans l’histoire, mais j’imagine qu’il s’agit plus d’une manière symbolique pour le réalisateur de se détacher de son propre père aux yeux de tous qu’autre-chose. Quant à Épervier, c’est le mentor typique du genre, celui qui prend le héros sous son aile et qui l’aide à s’affirmer et à se racheter le temps d’un voyage initiatique. Il se présente comme un mage au style de vie simple et modeste, n’employant ses pouvoirs (assez cools, faut l’avouer) qu’en derniers recours. C’est également un ami de la nature. Ça, il ne manque pas d’en faire l’éloge, à croire qu’il se masturbe tous les soirs en pensant à la terre fraîchement retournée, quoi ! Le pire, c’est qu’à partir du moment où ces deux-là prennent la route, on ne sait pas tout à fait dans quel but.

Sérieusement, ils se rendent chez une amie d’Épervier sans que l’on comprenne vraiment pourquoi ;

c’est la quête la plus vague qui soit ! La seule chose qui apporte un sens à leur voyage sont les méchants qu’ils rencontrent. Et bien entendu que le chef de ces méchants pas beaux connait Épervier et a des comptes à régler avec lui, autrement il n’y aurait pas d’histoire ! Androgyne et parlant avec une voix de fumeur sous Xanax, Aranéide ne diffère guère des millions d’autres antagonistes d’œuvres fantasy dans ses aspirations : il en veut à Épervier de l’avoir humilié jadis et convoite la vie éternelle et la toute-puissance, gnagnagna… C’est bateau !

Le plus déroutant avec lui, c’est qu’il est censé être un archi-mage pouvant aisément plier les gens à sa merci grâce à ses pouvoirs, mais au moment où il peut supprimer Épervier, il se contente juste de l’enchainer et de l’obliger à sauter du haut d’une tour. C’est complétement stupide ! C’est comme si Lord Voldemort avait ordonné à Harry Potter de se tailler les veines avec un couteau suisse plutôt que de lui balancer des sortilèges de mort ! Ri-di-cule.

Finalement, les personnages qui relèvent un peu le niveau sont Épervier et Therru, les deux balafrés, et encore ! Faut voir comment la seconde infiltre le repère des méchants pour délivrer ses amis, c’est limite parodique. A partir de là, le film atteint son plus haut degré de fadeur et de feignantise pour moi.

On voit donc Therru (dotée de l’épée de Arren) atteindre le château des méchants sans mal et alors qu’elle les épie pendant qu’ils se bourrent la gueule (évidemment), ceux-ci révèlent nonchalamment où Arren est retenu prisonnier, du genre « Ah ah, nous sommes des méchants et notre maître est le plus fort ! Nous avons bien fait d’enfermer cet avorton dans la cellule n°2 du sous-sol que l’on peut atteindre en passant par l’arrière du château puis en descendant les escaliers… ».

C’est vraiment nul de faire avancer une intrigue de la sorte, mais nul ! Et les dialogues sont ineptes avec ça !

Par exemple, à un moment, le bras droit d’Aranéide dit qu’il est temps de tuer Épervier et son amie Tenar et Therru répète toute seule « Ils ont l’intention de les tuer. » et…grrr… ! On le sait, meuf, il vient de le dire ! Et dès qu’elle retrouve Arren, il lui suffit de délivrer un speech chiant sur la valeur de la vie non-éternelle et de prononcer son vrai nom pour lui redonner foi en ce qu’il est et les voilà partis pour vaincre le méchant. Bien sûr, au moment fatidique, Arren parvient à dégainer sa foutue épée magique que personne ne pouvait utiliser jusque-là et dont on ne sait rien en dehors de ça, ce qui fait de lui « l’élu ». Seigneur, que c’est cliché ! Puis dans un renversement de situation qui n'étonnera que les débiles, le méchant, qui n’a pas su « trouver la lumière en son cœur », est défait. Tout rentre dans l’ordre pour nos gentils. FIN. Allez vous faire mettre !

Les Contes de Terremer n’est pas un film catastrophique mais il n’est clairement pas bon. Le regarder jusqu’au bout a été comme d’être forcée de finir un plat que je n’aime pas. En dehors de son esthétique soignée, de ses décors sublimes et de la BO, je ne lui trouve presque pas d’atouts. C’est d’autant plus désolant que le film cumule les emprunts aux œuvres filmiques et dessinées de Hayao et se veut fidèle à l’esprit Ghibli. Le scénario est navrant tant il est mal exploité, la mise en scène est très maladroite, les personnages sont caricaturaux et dépourvus de charisme, la morale sur la vie et la mort est délivrée avec la niaiserie d’un enfant de six ans, les dialogues sont insipides, il n’y a pas de souffle, pas d’émotions, pas de poésie, peu de dragons pour ce que ça promet, et même les doublages français sont mauvais.

Enfin, pour un premier essai dans la réalisation, Goro Miyazaki s’est loupé. Marcher dans les pas d’une légende ne doit pas être chose simple. Ça ne veut pas dire qu’il n’a pas de talent, seulement il faut bien plus que de bonnes intentions pour faire un film digne de ce nom. 4/10

MalaurieR
4
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le 21 juil. 2023

Critique lue 163 fois

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