Amour, Alcool, Musique : Zhang-Ke fait son Godard

Jia Zhang-Ke est depuis Platform un de mes metteurs en scène préférés. Ce film m’avait simplement boulversé sans même que je ne m’en rendes compte. J’avais découvert un naturalisme cinématographique assez impressionnant. Ces plans larges où il fallait trouver le détail, qui nous plongeaient dans une Chine aux abords du libéralisme économique, tout cela m’avait bluffé et plus particulièrement lorsque le générique s’était activé après ce fameux plan de Zaho Tao signant l’individualisme dans un plan et dans une société. Même si je n’avais pas tout compris à l’intrigue (et peut-être que c’est ça qui est génial) le ressenti était là et cela me permit de bien digérer le film et de pouvoir le revoir pour y déceler les nuances.Tout ces critères qui m’avait surpris cette première fois et qui avaient été perpétué lors de mes visionnages de ces autres œuvres, se reproduisit avec ce denier film. 


Fort d’un grand aboutissement, ce film est le fruit d’une radicalisation chronique et similaire à plusieurs des confrères cinéastes de Jia Zhang-Ke. À la manière d’un Kechiche s’étant concentré sur une poignée de procédés distinguant si particulièrement son cinéma naturaliste aujourd’hui, Zhang-Ke fait de même. Il nous est servi un travail relevant de peut-être plus de 20 années, laissant maturer toutes les thématiques aborder durant le film. Cet durée témoigne d’une œuvre complète/exhaustive, qui cherche à être au plus près de ses personnages, pour bien effleurer leur trajectoire. Cette fois, à la manière d’un Linklater, les personnages sont suivis durant cette durée de vie pour correspondre à leur évolution, car Zhang-Ke a compris que les personnages qu’il filmait était les mêmes qui ont endossés les changements du pays. Alors il ne nous ressert pas un procédé où l’acteur serait different en tant qu’adulte et vieille personne ou bien où l’acteur aurait été maquillé ou aurait perdu du poids pour son rôle. Tout est vrai car à l’intérieur même des images tout est vrai. La caméra ne différencie pas la realité avec le cinéma. Cet aspect me fait donc penser à un autre metteur en scène ayant suivi un mode de radicalisation qui à mes yeux est similaire à ce film ; Jean-Luc Godard. En effet, ce film se place dans une veine uniquement constituée de flux d’image et c’est cela qui fait selon moi que ce film est un chef-œuvre. On nous entraîne dans une grande expérience mêlant les images de la chine, des populations, qui laisse voir un travail de composition créant une cohérence pour une œuvre cinématographique au gré de l’intrigue. À l’instar de Lynch ou de Pialat le cinéma est donc sensitif et privilégie le ressenti à la place de la cohérence narrative. Mais celui qui pour moi se rapproche le plus de ce film est donc Jean-Luc Godard. J’estime que Jia Zhang-Ke réalise son «Livre d’image» et y arrive terriblement bien. La plupart des images sont d’une pureté et dégage un élément que notre metteur en scène a compris, celui de la fertilité des terres au cinéma. À l’image d’une terre tel que les États-Unis, la Chine a subit nombre de bouleversement socio-économique s’étant encrés dans les populations et ayant trouvé une fertilité au cinéma. Alors Zhang-Ke sait pertinemment qu’une histoire n’a plus d’importance lorsque des images ont une éloquence déjà assez forte. Le patrimoine visuel que nous sert cet œuvre est juste colossale étant donné que l’on s’étale de 2001 à 2022. Des images inventives qui personnellement m’ont éblouies, me permettant de ressentir cet intense chaleur présente dans la Chine du sud qui est pourtant rendu universel réussissant à m’y encrer. Tout l’es rush ont des détails subtils qui permettent de composer le récit et nous entraîne dans un rendu d’une agréabilité folle de 2h. J’y regrette même les écriteaux précisant le récit et les différentes références à Unkown Pleasure ou Still Life, empêchant par moment de s’encrer dans le film. La barrière entre documentaire et fiction y est donc autant trouble et en réalité, le film est un documentaire dans lequel certains personnages peuvent entrer. La caméra numérique et le montage sont du documentaire car ils sont conçus en tant que tel mais s’imbriquent entre eux et créent une forme singulière de cinéma qui est parfaite.J’y vois donc une forme d’œuvre suprême jusqu’au-boutiste qui m’a fait un bien fou. 


Cette aura jusqu’au-boutiste à tout de même un sens qui vient à la racine de ce qu’est le cinéma, tant elle est constitué par le muet. On sent un retour à une base simple et qui finalement arrive à capter le cinéma mieux que personne. Outre les écriteaux que j’ai évoqué comme point négatif pour leur lourdeur et leur manière de surligner l’aspect d’empreinte au muet, on se retrouve devant une œuvre où de la musique à l’actrice se joue des enjeux concernant le muet. On y approche une forme de non-didactisme suprême. La musique n’a pas pour faculté de diriger les émotions par son intelligence d’être placée dans la diégèse du film grâce à son encrage dans la réalité. Cette réalité qui énonce la cause de l’aliénation Chinoise qu’elle soit jeune, médium ou vieille. Mais j’y reviendrai. Zao Taho aiguille aussi sur le contenu muet par un jeu encore une fois proche de celui amateurs/des modèle. On y décèle une aura mutique particulièrement efficace, car elle n’intervient pas sur l’émotion du spectateur même si par moment, un jeu un peu plus éloquent vient s’installer, pour autant rien n’est gâché.


Dans tout ce que j’ai évoqué, je n’ai pas réussi à discerné les choses en plusieurs blocs bien précis, mais un élément du film mérite que je l’aborde plus amplement ; la musique. La composition musicale est juste parfaite, d’autant plus qu’elle n’intervient que dans la diégèse du film. Cela constitue pour moi un tour de force étant donné qu’elle permet en tout instant de se soustraire à la réalité (du moins pour les personnes illustrées dans les archives) pour mieux s’y encrée. On utilise la musique pour bien montrer la diversion dans laquelle le peuple chinois s’enferme en ces périodes données. On passe du métal à la musique traditionnelle en passant par le pop et cela me réjouit en attribuant une thématique précise. Si je parle de cet aspect du film c’est parce que je considère qu’il est la synthèse de la subtilité du film qui ne démontre rien par la parole mais qui nous fait avancer sur un fond très agréable qui sait nous garder captif. Même lors de la tentative d’utiliser tiktok, figure prédominante de la société Chinoise actuelle, tout cela se fait de manière subtile et évoque à merveille le business créé dans ce domaine dans les années 2020. Beaucoup ce sont et ce serait risqué à une forme de jeunisme qui n’est rien dans ce film. 


Finalement, vous l’aurez compris ce film est pour moi une œuvre qui m’a déjà marqué, que j’essaierai de révisionner des que possible. Jia Zhang-Ke gagne encore une fois, plus d’importance à mes yeux, en me permettant de frissonner toujours au cinéma, moi qui n’y étais pas parvenu depuis un moment. Il y réalise son «livre d’image» bien à lui et se permet de se placer parmi les grands. Bravo au Génial Jia Zhang-Ke.

PachaPitou
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le 18 janv. 2025

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