Dans Le Challat de Tunis, son premier long, Kaouther Ben Hania enquêtait sur une légende urbaine tunisienne, en brouillant les pistes entre réalité et fiction. Neuf ans plus tard, le dernier opus de la réalisatrice est situé à cette même intersection. Le réel, c’est l’histoire d’Olfa et de ses quatre filles : Rahma, Ghofranen, Eya et Tayssir. Les deux dernières apparaissent dans le film. Les deux aînées ont été « emportées par le loup » nous dit-on dans l’introduction. La fiction, ce sont les comédiennes Ichraq Matar, Nour Karoui et Hend Sabri qui vont l’apporter. Incarnant les filles disparues ainsi qu’Olfa elle-même, elles vont « rejouer tout ce qui est trop douloureux à revivre et à raconter ».
Sous nos yeux, actrices et non-actrices déroulent ainsi pendant deux heures l’histoire d’Olfa et de ses filles. De son union à un époux non désiré jusqu’à la radicalisation des aînées, et tout ce qui a suivi. Colère, reproches, regrets - tout est scruté, confronté. Le rouge à lèvres écarlate sur les bouches souriantes se mêle aux larmes et aux voix tremblantes. Évitant le regard surplombant sur son sujet, Ben Hania montre les ficelles et dénoue les artifices du cinéma, du clap aux micros qu’on installe en passant par sa propre voix qu’on entend en « off », questionnant ses héroïnes face caméra. À travers le récit de ces dernières, le film dissèque tout le poids de la religion, des schémas familiaux, de la tradition. Du patriarcat aussi : tous les hommes cités dans le récit sont incarnés par le même acteur, Majd Mastoura. En filigrane, le film raconte aussi la Tunisie, avant et après la chute de Ben Ali.
Jamais complaisant, Les Filles d’Olfa confronte aussi la mère du titre à ses propres contradictions. Le tout est mis en images avec un parti pris formel (maquillage, cadrages, musique) peu fréquent en documentaire. À partir d’une histoire très personnelle, le film touche à l’universel dans ce qu’il raconte des liens familiaux, filiaux, maternels. Un récit puissant de sororité, d’amour et de rédemption, aussi radical sur la forme que sur le fond.
-Elli Mastorou
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