Tourné clandestinement en Iran alors que les mouvements de révolte clament "Femme, Vie et Liberté" à Téhéran , Les Graines du figuier sauvage est un manifeste cinématographique salutaire pour le réalisateur Mohammad Rasoulof et ses trois actrices contraints à l'exil ainsi que pour l'ensemble de son équipe technique. En plus d'être un poignant témoignage, le film nous offre de grands moments de cinéma. La qualité du scénario installe des bases solides tant sur la profondeurs des personnages, la puissance des enjeux dramatiques et les rebondissements.
Un père de famille tout juste promut "enquêteur" au tribunal révolutionnaire soulève en premier lieu les dysfonctionnements de la société et les limites de la théocratie.
Comment rendre justice dans un pays où les lois sont régies par la terreur ? La loi divine étant un prétexte pour justifier les pires horreurs. Cet honnête homme est broyé par un système où la peine de mort n'est qu'une affaire de signature sur ordre du procureur. Rongé de l'intérieur par une culpabilité grandissante, il est soutenu par sa fidèle et soumise épouse qui prend le plus grand soin pour alléger ses peines.
Son dilemme moral l'oppose à ses deux filles scandalisées par la violence faite aux femmes. Un conflit générationnel éclate. Face à l'horreur, l'ancienne génération détourne le regard et se réfère à la tradition tandis que la nouvelle génération ne peut pas fermer les yeux et soutient la révolution. La mère joue un rôle de médiatrice afin de maintenir l'équilibre familial. La première partie du film est un huis clos remarquablement dialogué où chaque scène soulève une problématique pouvant bifurquer la trajectoire des personnages.
Rasoulof use de multiples stratagèmes pour échapper à la censure. A la manière d'un documentariste, il s'empare d'images réelles des manifestations filmées à l'aide de smartphone pour les intégrer dans son récit. Ainsi, les deux sœurs, enfermées dans leur chambre par sécurité, regardent attentivement ses mêmes images en boucle. A travers cet écran, on perçoit toute la violence qui s'abat au delà des murs. Ces images constituent notre seul lien avec l'extérieur pour documenter la révolte et la répression. Les différentes sources d'informations marquent une nouvelle opposition entre les parents et leur fille, si la télévision déforme la réalité au profit du système, les réseaux sociaux apportent des preuves accablantes sur les violences policières.
Dans ce climat au bord de l'implosion, un mystérieux évènement vient faire basculer la vie familiale vers la descente aux enfers. Le mensonge et la délation viennent ternir leur relation. La seconde partie du film opère alors un virage inattendu vers le thriller paranoïaque et le suspense s'accroît. Un final impressionnant enferme les personnages dans un tourbillon d'autodestruction. Tous les maux de la société fait éclater la sphère familiale. Un chaos magnifiquement orchestré. Grand film.