Mécanique de l’emprise et de la répression où la façon de briser et de forger les destins individuels.
Cette coloration de la vie intime, conjugale, familiale, amicale, se retrouve dans la forme et la qualité chromatique de l’image. Au début je pensais que les séquences filmées dans l’appartement étaient ternes ou mornes parce qu’elles elles reflétaient une vie soumise, repliée ou éteinte. Cela pouvait être dû en partie aux conditions de tournage, mais les choix du cinéaste s’affirment ensuite sans ambiguïté lorsqu’il met scène, dans une théâtralité quasi caravagesque, deux séquences de de secours et de soins. Celle de soins esthétiques donnés au mari, moment intime où l’on sent toute la fragilité, mêlée d’absurdité, de la figure masculine, choyée dans les apparences, fissurée de l’intérieur, mais totalement aliénée à un régime théocratique qui s’insinue dans la vie domestique. L’homme est encore ici un colosse, il commence à vaciller certes, mais à l’image d’un régime iranien, il s’accroche encore à la panoplie d’images en carton qui illustrent son quotidien, à défaut d’éthique, de convictions, il lui reste la posture des figurines de la soumission au pouvoir, et par-delà l’asservissement à une prétendue religiosité qui continue de servir de ciment à la théocratie iranienne. Mari et femme tentent de sauver les apparences, conscients de leurs égarements ils cherchent à compenser les renoncements intimes auxquels assistent leurs deux filles par les prétendus bienfaits d’un confort accru. Agiter l’absolu de la figure divine, apparaît ici comme un déni de réalité, un peu comme le geste de contenir et d’orchestrer la pilosité masculine, cela permet à ce stade du film de se rassurer, de se conforter. Or la réalité incontrôlée déborde tout au long du film dans les séquences des manifestations filmées à la sauvette, les chevelures féminines y flottent au vent comme le retour d’un refoulé qu’aucun foulard ne pourra jamais plus contenir.
À quel prix, et ce n’est pas un hasard si cette scène de soins donnés au mari dans l’intimité de la salle de bain, entre en écho avec celle du secours et de la réparation du visage défiguré de l’amie de l’une des deux filles, c’est dans la complexité relationnelle de ce double attachement et arrachement que la figure du personnage de la mère va devoir se reconstituer, afin de sauver ce qui lui reste de dignité.
Il est difficile d’évoquer ce qui sous-tend ce film sans en divulgâcher la trame narrative, cependant le caractère métaphorique des personnages ne fait aucun doute, et à ce titre la scène finale, proche par son contenu dramatique de celle de la Dame de Shanghai d’Orson Welles, nous laisse dans un dernier plan espérer et admirer, au milieu de la galerie des illusions brisées de l’Iran, un ultime éfondrement.
Le film évoque aussi pour moi cette autre œuvre remarquable intitulée « 40 m2 d'Allemagne = 40 Quadratmeter Deutschland » (1986) / Tevfik Baser