S'inscrivant pleinement dans la lignée des drames poétiques qui ont fait la renommée de son auteur, « Les Portes de la nuit » est peut-être aujourd'hui l'une des plus belles réussites de Marcel Carné, ayant très peu vieilli et bercé par une mélancolie aussi troublante qu'émouvante. La collaboration Carné - Prévert prend pourtant ici une tournure plus onirique que de coutume, presque fantastique, mais les deux hommes trouvent un équilibre quasi-miraculeux pour offrir à cette histoire d'amour tragique une beauté, une douceur la rendant encore plus belle. Ce n'est toutefois que l'un des aspects d'une œuvre aux nombreux personnages, tous remarquablement interprétés et souvent forts d'une complexité, voire d'une ambiguïté (La Seconde Guerre mondiale venait de finir) vraiment audacieuse pour l'époque, les deux hommes semblant vouloir régler leur compte aussi bien aux collabos « purs et durs » qu'aux pseudo-résistants de mai 45, comme en témoigne quelques scènes particulièrement remarquables. Après c'est un peu lent, et peut-être le film aurait-il gagné à enlever quelques minutes par-ci par-là, toujours est-il que sa dimension lyrique et sa beauté viennent asseoir le statut de géant du cinéma français de l'auteur des « Enfants du Paradis » : une réussite.