Ce qui m'a frappé, en revoyant "Les valseuses" près d'un demi-siècle après sa sortie, c'est le soin accordé à l'image, très loin du film libertaire tourné à l'arrache qu'on aurait pu imaginer.
La photo de Bruno Nuytten est magnifique, avec une lumière naturelle savamment sélectionnée, et les cadrages de Blier sont travaillés, ses mouvements de caméras réfléchis (de nombreux travellings avant et arrière, en harmonie avec les diverses scènes de fuite à pied de nos deux loubards).
Sans compter les décors (le village de vacances déserté à la morte saison) et autres arrière-plans (des barres de béton à l'horizon, avec un terrain vague au premier plan) qui viennent souligner la poésie visuelle du film.
Sur le fond, le film de Bertrand Blier apparaît violemment provocateur et amoral, présentant une jeunesse brutale et désœuvrée, en quête de liberté et de jouissance immédiate, et en opposition frontale avec la génération précédente, confite dans ses certitudes bien-pensantes et son matérialisme.
Dans cette France pompidolienne (le film sort en mars 1974, peu avant la mort de Pompidou, et Giscard ne sera élu qu'en mai), les valeurs post soixante-huitardes et la libération sexuelle ont infusé dans la jeunesse, créant une fracture générationnelle décrite par Bertrand Blier dans son roman "Les valseuses" en 1972.
Si l'adaptation ciné eut un tel retentissement, outre le parfum de scandale et la qualité objective du film, c'est aussi grâce à l'émergence simultanée de deux jeunes comédiens exceptionnels, opportunément castés par Blier : l'animal Gérard Depardieu, monstre de talent et de charisme, et le plus discret Patrick Dewaere, incroyablement doué et investi lui aussi - auquel on peut adjoindre Miou-Miou, autre quasi-débutante qui crève l'écran dans "Les valseuses".
Les pérégrinations tragi-comiques de ce trio de marginaux en cavale dans une France conservatrice attirera plus de 5 millions de Français dans les salles, malgré un accueil critique plus que mitigé.
A titre personnel, si j'ai été impressionné par les qualités esthétiques du film, par son authenticité crue et son humour, et par les idées de mise en scène de Blier (un exemple, ce face à face haineux avec un vigile, filmé en travelling circulaire), je relève tout de même un bémol au niveau du rythme et de la narration. Certes, "Les valseuses" est un road movie (voir le nombre de véhicules utilisés au cours du récit), mais les péripéties apparaissent décousues, parfois juxtaposées sans lien intelligible, provoquant un faux-rythme et pas mal de longueurs. Malgré toute mon estime pour le film, j'avoue que j'ai senti passer les deux heures..
"Les valseuses" n'en reste pas moins une œuvre mythique, un jalon dans l'histoire du cinéma français encore très corseté à l'époque, lequel n'avait pas fini d'entendre parler de Blier, Depardieu et Dewaere...