Quelle claque ! Je n'en attendais pas grand-chose mais j'ai été vraiment surpris. Un film français de 1960, on ne s’attend pas à grand-chose quand on n’y connait pas grand-chose … C’est quand même une référence, je pense que j’en ai entendu parler en faisant quelques recherches sur Almodóvar.
C'est pourtant très mal parti : la musique du générique, qui revient au moins trois fois dans le film, est l'une des musiques de film les plus irritantes et moches que j'ai entendue de ma courte vie. C’est d’ailleurs la musique qui accompagne les scènes où l'on suit Alida Valli, la seule qui « surjoue » un peu à l’ancienne, ce qui fait que certaines scènes ont un peu vieilli ... (Comment quelqu’un pourrait faire confiance à une femme qui vous parle et vous regarde comme ça ?) Enfin … Pierre Brasseur en fait aussi des tonnes parfois, dans la scène où ils agressent Edna par exemple. Le début m'a par ailleurs semblé un peu confus - peu d'explication pour tous ces personnages et ces situations, le docteur laconique, les policiers qui parlent par-dessus les images de l'enterrement : heureusement que je connaissais l'histoire (mais suis-je trop habitué à ce que les films m'expliquent tout d'entrée de jeu …?)
Cependant, dès que Christiane est introduite, tout s'emballe et on comprend directement pourquoi ce film est encore aujourd'hui une référence : c'est de l'horreur intelligente, tragique, à la lourde charge symbolique.
En premier lieu, c’est esthétiquement, techniquement et plastiquement beau, le noir et blanc est magnifique avec ces jeux d’ombres et de lumière. Edith Scob avec son masque blanc, implorant qu’on la tue, est magnifique ; elle évoque l’Inconnue de la Seine, Aurélien de Louis Aragon, les masques mortuaires, le tueur de Sei donne per l’assassino, Michael Myers … elle est belle et terrible, effrayante et touchante à la fois. Le fait qu’elle ne veuille pas sauver la première victime mais choisisse plutôt de l’effrayer en lui montrant son visage mortifié est génial : cela donne de la profondeur au personnage, ce n’est pas une vierge au grand cœur, un princesse Disney qui pardonne tout à tout le monde, elle a de la rancœur, de la haine, de la jalousie …
Le docteur est tout aussi génial : c’est un homme endeuillé et coupable, il est responsable de la défiguration de sa fille mais il est aussi, comme tout « savant fou » qui se respecte, complètement obnubilé et aveuglé par son « travail ». Il a toutes les tares : c’est un menteur, il parle mal aux femmes (mais aussi aux hommes, même des policiers !), il frappe, maltraite les animaux, il est grossier (la scène où il dit qu’il enlèvera la peau du visage de l’étudiante « après avoir diner » …) Du coup, son châtiment est jubilatoire. L’émancipation de Christiane est jubilatoire aussi. La relation des deux est malsaine au possible.
Les scènes choc, voire gores sont inattendues pour un film français de l’époque (encore une fois, je n’ai sans doute pas d’autres références …) et tiennent encore la route. Je me disais qu’on resterait beaucoup plus dans la suggestion, comme le laissait penser le premier tiers du film. Il y a trois scènes violentes, la révélation du visage défiguré de Christiane qui est vraiment réussie, avec cet espèce d’effet de flou qui rend le tout surréaliste, l'opération d'Edna (Juliette Mayniel), sans doute un beau travail de maquillage et de prothèse pour l’époque (?), que le réalisateur prend plaisir à tirer en longueur, et le festin des chiens de laboratoire qui fêtent leur liberté retrouvée en dévorant leur bourreau.
J’ai adoré le coup des photos montrant la dégradation de l’implant avec les commentaires de Pierre Brasseur. Elle arrive quand le dénouement se met en place et marque donc vraiment une coupure dans le récit. J’ai aussi adoré ce plan qui sort de nulle part : Louise, rongée par la culpabilité (d’ailleurs, son personnage est un peu incohérent en ce sens, à certains moments elle a l’air de s’en vouloir, à d’autres elle agit comme une psychopathe indifférente aux malheurs et à la souffrance des autres… enfin) alors que le docteur jette le cadavre d’Edna dans la prétendue tombe de sa fille, lève les yeux et voit un avion ; se sent-elle observée, jugée ? Aimerait-elle être ailleurs, très loin de ce cimetière lugubre, à être la complice de ces terribles crimes ? Tout cela est suggéré avec ce petit plan d’un avion qui passe sur fond de coup de pioche …
Donc voilà, il y a ce côté horreur fantastique gothique avec les décors, les personnages, l’ambiance et la fin toute en poésie, il y a ce côté horreur plus gore, plus malsain, - plus moderne !, avec le scénario d’horreur chirurgicale et même un côté enquête policière vraiment sympathique. Définitivement une bonne surprise que j’ai hâte de revoir !