Vu en avant première le 25/11/24 au cinéma lumière terreaux à Lyon.
Dans son dernier film à date, Kirill SEREBRENNIKOV continue de brosser le portrait d'une Russie presque schizophrène et comme un abrégé de ses précédentes œuvres, ce nouvel opus - sans doute parce qu'il s'intéresse à un personnage fondamentalement soviétique dont la notoriété est ici relativement faible, hors mis dans certains cercles intellectuels - veut rassurer le spectateur déjà habitué aux réalisations de son cinéaste. Ainsi on retrouve les gimmicks de Leto, la grandiloquence parfois outrancière et le goût pour les allers retours entre réalité et onirisme de La Fievre de Petrov, et le traitement du personnage central pourra rappeler celui dévolu à celui de La Femme de Tchaikovski.
Serebrennikov nous emmène sur les terres qui sont les siennes, il nous y guide mais c'est un guide qui avance et c'est à nous de le suivre, de sauter les obstacles, de nous départir de nos entraves. Dès lors si vos expériences précédentes avec ce réalisateur n'ont pas été probantes, ne vous attendez pas à plus de confort et si la figure de proue actuelle du cinéma russe dissident vous est encore inconnue, privilégiez une autre porte d'entrée vers son cinéma. Leto à mon sens étant la plus évidente.
Limonov, la ballade c'est le portrait d'un éternel insatisfait. Un homme qui par orgueil n'est jamais en accord avec le milieu où il évolue au moment où il y évolue.
S'ouvrant sur sa jeunesse prolétaire dans une union soviétique qui portait aux nues et considérait comme héros les figures stakhanovistes de l'ouvrier zélé, il s'y sent à l'étroit intellectuellement. Rejoignant les cercles de l'intelligentsia moscovite qui réunis dans leurs datchas déclament leur poésie, c'est dorénavant l'embourgeoisement de ses acolytes face à sa soif d'aventures qui le bride.
Se rêvant écrivain dissident à la Soljenitsyne, réfugié aux Etats Unis, il finira par y renier l'auteur de "l'archipel du goulag" comme inspiration. Trop libéral en URSS, trop socialiste aux USA.
Cette course perpétuelle à l'opposition par principe qui caractérise le Limonov dont Serebrennikov nous fait l'esquisse finit par nous montrer un homme parfaitement imbu de lui même, inapte à se remettre en question, toujours prompt à chercher chez l'autre les raisons de ses échecs, à fonder les raisons de son malheur dans la non reconnaissance générale et indiscutée de son génie.
Limonov, qui d'abord attachant en devient exécrable, haïssable et si effectivement sa vie romanesque rend le personnage fascinant, on sent poindre assez vite les sources de la radicalisation.
Comme à son habitude Kirill Serebrennikov fait montre de son immense talent de mise en scène et son impressionnant sens de la narration par le montage et le découpage. Les idées foisonnent, chaque plan, chaque séquence sont un régal esthétique mais plus difficile à réussir cette maestria technique indubitable sert un propos pertinent.
J'ai par exemple été particulièrement impressionné par une séquence qui voulant parler spécifiquement des années 80, choisit de le faire en précipitant Limonov dans un décor de théâtre ou de cinéma par définition voué à disparaitre, où par des détails on parcourt de façon elliptique cette décennie tout en se remémorant tous les faits historiques majeurs qui l'ont traversés et forgés la destinée de tous. Le choix de la musique est aussi remarquable et concoure à faire avancer aussi bien le récit qu'à illustrer le point de vue du cinéaste.
Et c'est justement ce "point de vue" qui pour moi définit les limites du projet. Notamment dans son choix de ne pas traiter ou de façon superficielle, la dernière partie de cette vie érigée en personnage de la comédie humaine balzacienne. La radicalisation dont je parle plus avant, s'est traduite par des choix plus que discutables, de la part de Limonov, mercenaire aux côtés des forces serbes lors du siège de Sarajevo ou auprès des indépendantistes tchétchènes, désormais opposant à la Russie nouvelle, il fondera un parti dont l'ambition est de rassembler tous les nostalgiques de l'ère soviétique tout en adoptant les concepts idéologiques du nationalisme. Le nom du parti parle d'ailleurs pour lui : le parti national bolchévique.
Après nous avoir, parfois avec des bégaiements, décrit le chemin d'un homme dont le délire narcissique et l'ego insatisfait l'ont empêchés, cette entrave auto infligée qu'il accuse tout ce qui l'entoure d'être responsable et qui finiront par sceller son destin et sa plongée dans un extrémisme qui aurait mérité sinon une analyse exhaustive, au moins un traitement un peu plus approfondi à mon sens.
Restent un film absolument maîtrisé sur le plan formel, un plaisir cinéphile, pétri d'idées, une photographie superbe, une direction artistique dingue qui me passionne. Les acteurs sont également notables et la performance de Ben WHISHAW en particulier compte désormais parmi les grandes prestations du cinéma. Je regrette simplement cette impression d'un film qui n'a pas voulu conclure sur son sujet, comme un refus d'obstacle qui derrière aurait dévoilé un homme encore plus sombre, discutable, odieux et abjecte que ne voulait le présenter le cinéaste. Dommage.
En conclusion et tout en vous enjoignant à aller voir cette œuvre sitôt sur un écran vers chez vous, j'en arrive à me demander si ce parcours de refoulement ne constitue non pas une nouvelle itération d'une peinture de la Russie, mais un miroir adressé à l'occident dont on observe le penchant de plus en plus évident vers les idées d'extrême droite notamment par le fantasme d'un passé idéal et la peur d'un avenir construit sur une décadence là encore irréelle.