Sorti début 2013 au cinéma, le bio-pic d’Abraham Lincoln par Spielberg ne m’avait pas convaincu. Je l’avais accusé d’être ennuyeux, trop peu axé sur la Guerre de Sécession et sans doute trop « gentillet ». La lecture récente d’une très bonne biographique d’Old Abe (signée Bernard Vicent) m’a convaincu de revoir le film, de profiter encore des détails frais dans ma tête pour me faire un nouvel avis. C’est fut une excellente initiative puisque ma sentence est tout autre cette fois-ci… voilà un des meilleurs films historiques !
Pour la plupart des grands personnages de l’Histoire, leur destinée splendide et incroyable s’est conjuguée avec un égo surdimensionné. Les Alexandre, César et autres Napoléon avaient de cerveaux sans cesse en ébullition et des ambitions bien au delà de ce qu’il était possible d’accomplir. Abraham Lincoln est l’un deux puisque parti de rien (il est né dans une misérable cabane en rondins), avec à peine un an de scolarité durant son enfance, il est devenu le plus grand président des États-Unis. Ce n’est pas seulement cette ascension fantastique mais bien ses idées à la fois toutes contemporaines ainsi que ce caractère humble, modéré, réfléchi et même touchant. Ce grand bonhomme n’a jamais cherché à diviser et n’a encore moins sombré dans des intrigues politiques de bas étages.
Lincoln était quelqu’un avec de réelles convictions, un républicain (au sens premier) comme on en fait plus mais gardait cette part de fragilité qui le rendait si proche de monsieur-tout-le-monde. En effet, on note parmi le caractère de Lincoln son côté lunatique, il avait aussi des tendances dépressives et sentait une fatalité peser sur lui depuis la perte de très nombreux proches (mère, sœur, enfants) au point qu’il pressentait sa mort prochaine. Mais comme essaye de le démontrer le film, Abraham était aussi un homme souriant, enclin à la blagounette ou à des anecdotes improbables pour détendre son auditoire. Par contre, rien ne fait référence à ses boutades scabreuses qui faisaient fureur au comptoir. On ne va pas salir le mythe !
Véritable idole nationale outre-Atlantique, la logique de Spielberg de se pencher sur Lincoln est la première tentative d’analyser le sujet au cinéma avec des moyens conséquents. Pour endosser la barbe du Président, le choix de Daniel Day-Lewis est le meilleur possible. L’acteur tourne pourtant dans très peu de films, il est particulièrement discret mais dès qu’il se place devant la caméra, il se mue en de fascinants personnages. Lincoln est donc profondément réaliste, humain et capte l’attention par ses mots, ses attitudes et bien sur par ce physique si particulier ! Alors certes le vrai était bien moins beau mais pour que Day-Lewis puisse faire parler le talent, et que le film ne perde pas en crédibilité, l’ajout de postiches n’auraient pas aidé.
Au delà de la performance, il faut surtout noter que Lincoln est un excellent film historique. Spielberg a choisit une période très intéressante de l’Histoire américaine avec la fin de la fratricide Guerre de Sécession et l’abolition tardive de l’esclavage. Dans un pays plus divisé que jamais, il fallait faire le consensus entre nordistes abolitionnistes et sudistes attachés à leurs traditions et dont toute l’économie portait sur le travail forcé: on y comptait 4M d’esclaves noirs. La question de l’esclavage était épineuse depuis tellement longtemps qu’il fallait définitivement trancher. Les dissensions créées par la ligne de démarcation de la pratique de l’esclavage (Kasas-Nebraska Act) fut l’un des principaux événements qui ont mis le feu aux poudres dans un pays vieux de même pas 100 ans. La guerre civile a alors été le moment opportun pour la création d’un nouvel amendement à la Constitution et d’ainsi respecter la Déclaration d’Indépendance qui présentait les hommes comme égaux, ne serait-ce que devant la loi.
Mais entre lobby politique, démocrates convaincus, ignorance et période d’instabilité, c’est un jeu incertain dans lequel Lincoln se porte. Les débats enflammés de la Chambre des Représentants sont peut être les meilleurs moments du film où chacun tente de faire jouer son éloquence dans des débats enflammés. Tommy Lee Jones donne de la consistance à cela grâce à sa présence forcément charismatique.
La Guerre de Sécession est aussi abordée. Certes on ne voit quasiment aucun combat mais le but est ici de représenter cette période sous le regard de Lincoln et de ne pas tomber dans le romantisme guerrier d’un soldat Ryan par exemple. La guerre a été une hécatombe mémorable à cause de techniques de combats d’une autre époque face à un armement évolué. Les champs de bataille sont parsemés de cadavres, les hommes se battent dans la boue jusqu’au tibia. Non, la guerre ce n’est pas beau ! Les moments clés ne sont pour autant pas oubliés que ce soient les négociations de paix dans le bateau River Queen, l’armistice d’Appomatox, le discours d’investiture de Lincoln ou simplement les quelques mots que tous les américains apprennent aujourd’hui à l’école repris de la tirade de Abraham lors de son passage à Gettysburg.
Mais cette reproduction historique ne serait rien sans la finesse des décors, costumes et tout ce qui nous transporte au 19ème siècle à Washington même si on aurait préféré plus de scènes en extérieurs. Les personnages correspondent parfaitement à l’image, à ce que nous savons de Mme Lincoln, Ulysse Grant, Seward etc (voir ici notamment)… Dommage de ne pas apercevoir Jefferson Davies ou William Sherman ! En somme, c’est toute la patte du cinéaste Spielberg qui finit le travail sans oublier la BO signée de l’infatigable John Williams.
Parfaite fresque historique qui raconte trois histoires en même temps (guerre civile, vie privée de Lincoln, abolition de l’esclavage), Spielberg réussit à faire renaitre de ses cendres le personnage le plus important de l’histoire nord américaine. De toute manière, il fallait rendre une copie de cette qualité pour parler d’un mythe américain. C’est ainsi que l’on peut définir le point faible majeur de Lincoln. Il faut connaitre le personnage pour en apprécier le film et sa justesse historique ainsi que les clins d’œils foisonnants de toutes parts. Si l’on a aucune notion sur l’histoire des États-Unis et surtout sur Old Abe, aucun plaisir n’en sera retiré. Voilà pourquoi mon premier visionnage fut si laborieux, le film montre mais n’explique rien. Cela évite toutefois de tomber dans une présentation laborieuse des personnages mais oblige justement à placer la barre haute dès le début. Une fois les références acquises, on ne peut que louer le génie de Spielberg et son amour profond pour le cinéma et l’Histoire. A très juste titre, Lincoln disait que « c’est lorsqu’il est abattu qu’on mesure le mieux la grandeur d’un arbre ». Et ca, c’était un sacré tronc.