Lucky est un film mais c'est avant tout un visage, celui d'Harry Dean Stanton qui tire ici sa révérence de la plus belle des manières. Décédé le 15 septembre 2017, l'acteur n'aura pas pu voir son sublime baroud d'honneur sorti dans nos salles le 13 décembre.
Sachant cela, le film de John Carroll Lynch prend une autre dimension qui lui fait traverser l'écran mais, cet encrage dans la réalité n'ajoute rien à sa force tant les déambulations routinières de notre vieux cow-boy solitaire viennent effleurer nos émotions à coups de stimulus d'une incroyable efficacité.
A travers un quotidien, on découvre un homme aigri mais perspicace, presque au bord du précipice, attaquant chaque jour avec une récurrence désincarnée mais toute en contradictions assumées, comme en témoigne dès les premières minutes cette cigarette du réveil formidablement interrompue par quelques exercices de yoga.
De là, lancé à la vitesse d'une tortue au galop, à travers de simples rencontres quotidiennes, va se révéler à nos yeux un homme fragile et touchant, pudique face à ses pairs et masquant ses faiblesses derrière une agressivité âcre. Au rythme d'une bande son oscillant entre un blues nuageux et un harmonica accompagnant les éclaircies, on se fond doucement dans un visage qui a rarement aussi bien porté le poids des années.
Et lorsque Lucky s'illumine, lorsque ses rides frémissent sous les coups de béliers d'une émotion trop longtemps refoulée pour s'extérioriser pleinement, à croire que les traits de son visage ne s'en souviennent plus, la magie opère et le message passe comme le temps, doucement.
La mort anticipée, celle que l'on redoute, celle que l'on prépare mais qu'on ne doit pas attendre, celle qu'on doit accepter coûte que coûte pour pouvoir de nouveau détendre les muscles de notre visage. Pas à pas, visuellement lent et subtilement houleux, tel est le reste du chemin de Lucky, grand-père oublié à la recherche d'une direction à choisir pour parcourir le plus légèrement possible les quelques kilomètres qui le rapprocheront de l'arrivée.
Que la lenteur est belle !